Questions d'actualité

février 2013 –

 


Sur le mariage homosexuel

       
 
     
 
Suites...
  Et maintenant ?
 
     
       



Ce que peuvent contenir à mes yeux d’inédit les deux textes que je viens de recevoir me paraît justifier de réouvrir provisoirement mon site afin de les mettre en ligne. Je souhaite seulement par là fournir à mes éventuels lecteurs de nouveaux éléments leur permettant d’être plus consciemment favorables ou hostiles à la légalisation du mariage et de l’adoption homosexuels.

Voici donc d’abord le courriel introductif de l’auteur, suivi des deux textes en question, « L’invention de l’homogamie » et « Proposition de recours en inconstitutionnalité ».

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Message du 27/02/13 19:08
De : "Pierre-Marie Hasse"
A : "Thibaud de La Hosseraye"
Objet : homogamie


      Bien cher Thibaud,

       Vous me disiez trouver de l’inédit dans mes propos sur l’actuelle question du « mariage homosexuel » et m’invitiez à leur donner une forme écrite que vous vous chargeriez de diffuser internautiquement, de la même façon que, lors de la campagne du référendum de 2005, vous aviez choisi de publier votre dénonciation du cynisme des stratégies de propagande programmées en faveur du TCE dont vous aviez été le témoin dans les cercles rapprochés du pouvoir de l’époque.
   A bien des égards, nous nous trouvons en effet dans une situation analogue : reconnaissance, par ses promoteurs les premiers, de l’irréfutabilité des objections au projet de loi et mobilisation systématique de tout l’audiovisuel, soit sur l’occultation pure et simple des oppositions inattaquables (ainsi la magnifique intervention à la tribune de l’Assemblée nationale du très remarquable socialiste Nestor-Bruno Azerot, député de la Martinique, maire de Sainte-Marie), soit sur la décrédibilisation ad hominem des incontournables, y compris par les plus ignobles des procédés (Christine Boutin, naturellement, mais maintenant aussi la dénommée Frigide Barjot, organisatrice des fameuses « manifestations pour tous » qui, à défaut d’avoir pu se faire assassiner en direct, lors d’une émission où elle n’avait été invitée qu’à cette fin, se voit, depuis lors, la cible hebdomadaire, de la part de l’animateur de cette émission, d’une campagne obsessionnelle de calomnies tous azimuts, plus grotesques les unes que les autres, la dernière en date consistant à lui prêter l’opinion, sous couvert d’humour, mais au premier degré, ainsi qu’avec le tacite acquiescement de son propre beau-frère, lui-même en pleine opération d’autopromotion –vénalité oblige !– que tous les homosexuels seraient des psychopathes cannibales…ce qui, en effet, ne s’invente pas : c’est du moins ce qu’on espère nous faire croire).
   Le plus paradoxal, ici, c’est que le déchaînement de la fureur, de l’injure, de l’invective, de la rancœur, des crachats, de la provocation, du ressentiment sous toutes ses formes, ne vient pas du tout de ceux qui ont déjà perdu, mais précisément des vainqueurs, de tous les « autorisés » qui, dans cette partie, jouaient d’emblée gagnants, puisque pratiquement seuls. Je risque une explication : ce n’est que leur victoire qui les exaspère. Que ce ne soit qu’une victoire et qui ne l’emporte que par la force. Ni par le droit, ni par la raison, ni contre l’un ni l’autre, auxquels son absurdité ne peut rien. C’est la rémanence du pressentiment de cette absurdité qui induit, à mes yeux, l’absurdité de ce comportement. C’est aussi pourquoi, dans le texte que je vous propose, vous verrez que j’ai choisi de focaliser plutôt sur elle mon effort de clarification.
   J’y adjoins une « proposition de recours en inconstitutionnalité » dont l’objet n’est que de présenter une version plus strictement et immédiatement juridique de la question, qui se veut plus neutre et détachée de la dimension spéculative du premier texte et des enjeux de fond et de long terme qu’il prétend dégager…

PMH







I- L'invention de l'homogamie

(P-M Hasse, février 2013)



 

       Le signe le plus évident de l’absurde est l’insignifiance dont il commence par affecter sa propre capacité à se signifier.
   On parle désormais communément de « mariage homosexuel ». Pourtant tout le monde sent fort bien, quoiqu’à divers degrés de conscience ou d’acuité, qu’il y a, dans cette alliance de mots, une espèce de hiatus dont la gêne est, en premier lieu, d’ordre quasi linguistique, a priori sans rapport à l’apparente clarté, au contraire, de ce qui est désigné par là, ni au jugement qu’on peut en concevoir, sur le plan politique, moral ou juridique.
   Il va s’agir, dans ce qui suit, de comprendre pourquoi.

       L’expression de « mariage homosexuel » est censée traduire sous une forme abrégée ce qui fut d’abord présenté comme l’ouverture de l’institution du mariage à des couples homosexuels. Une telle explicitation suggère qu’on serait passé d’un sens restreint du mariage, réservé aux seuls couples hétérosexuels, à un sens élargi où il serait également « ouvert », donc, aux homosexuels.
   En réalité, l’évolution est exactement inverse : il n’y a que dans le mariage dit « homosexuel » qu’on prétende se limiter à un certain type de sexualité, celle qui exclut l’autre sexe. Dans le mariage que l’on appelle du coup, rétrospectivement, « hétérosexuel », de façon à en empreindre le sens, jusqu’ici ordinaire, d’une inflexion restrictive et, en dernière instance, discriminatoire, il n’est au contraire question d’aucune pratique ni d’aucun comportement sexuels particuliers. Tout ce qui le définit, c’est seulement le consentement de deux personnes à la commune responsabilité de la fécondité de leur accouplement. Ce consentement implique naturellement aussi celui des deux à un rapport hétérosexuel entre elles, selon le mode et à la fréquence qui leur convient, ne serait-elle que d’une fois tous les cinq ans ou, pourquoi pas, sur toute la durée de leur vie conjugale. En revanche, il n’exclut nullement l’homosexualité ni de l’un ni de l’autre des conjoints, consciente, active et acceptée d’un commun accord. Voire désirée peut-être encore davantage pour l’autre qu’on ne l’envisage pour soi. Car on ne parle ici que du mariage civil, bien entendu.
   C’est donc une fois de plus le « mariage homosexuel » qui est restrictif et discriminatoire puisqu’il n’implique pas seulement de déclarer d’emblée sa sexualité comme exclusivement homosexuelle sur le long terme : il en confirme l’exclusivisme (et en prolonge la portée) de la revendication à son bénéfice d’une parentalité, donc d’une filiation homosexuelle où, par définition, le sexe d’abord exclu est ensuite instrumentalisé comme seul agent de reproduction de la vie au profit du sexe qui l’a exclu –et sans autre motif de son exclusion que, justement, son sexe. Pratique d’évidence discriminatoire, même si elle est réciproque : à l’égard du féminin par les couples masculins, à l’égard du masculin par les couples féminins. Est-il besoin, en effet, de le préciser ? Deux discriminations contraires n’équivalent pas davantage à une absence de discrimination que deux racismes adverses ne s’annulent.

       Et de fait, c’est bien aussi ce qui est immédiatement sensible à l’opinion publique : dans une société où la libéralisation des mœurs en est arrivée à un tel progrès que le mariage au sens ordinaire y a déjà perdu à peu près toute espèce de signification, hors celle de solenniser, précisément, la capacité de certains à une certaine pratique de la sexualité, pourquoi ne pas concéder à d’autres, s’ils y tiennent, l’égale officialisation, sinon de leur incapacité à cette même pratique, au moins de leur catégorique et prévisiblement irréversible préférence pour une autre ? Ce dont rien ne s’accommode mieux, notons-le en passant, que l’homophobie au sens le plus littéral, puisqu’il est caractéristique d’une phobie qu’elle ne redoute rien tant que la dissimulation de ce qu’elle redoute... En revanche, la majorité s’inverse dès lors qu’on parle d’homoparentalité, c’est-à-dire qu’on prétend arguer de cette extension du mariage pour lui restituer (régressivement, cette fois) la coordination et même la subordination de la conjugalité à la parenté. Autrement dit, on ne trouve rien à redire à une dilution progressive du sens du mariage civil. Ce qui est spontanément refusé, c’est que le non-sens qui en résulte s’étende aussi à la filiation, c’est-à-dire que la fiction en soit imposée à des sujets de droit qui ne pourraient, par définition, y avoir consenti. C’est là que la notion de mariage se voit d’un coup reconduite à son sens propre : un droit qui est dû à tout enfant à naître, à savoir que lui soit ouvert un égal accès, dans la figure de ses parents, et à l’homme, et à la femme, et à leur partage de la responsabilité de sa procréation, non pas seulement comme d’un acte ponctuel, mais définitif autant que décisif et qui les engage à son égard, au moins jusqu’à son émancipation.
   C’est l’enfant qui a droit au mariage et non les mariés à un enfant. Au mariage, c’est-à-dire à la parité sexuelle entre ses parents. Une parité partout revendiquée, y compris par ceux qui ne voient plus aucune différence entre un homme et une femme –et à quel titre, alors, si ce n’est celui d’un principe de précaution qu’il faudrait, en matière de sexes, appliquer, sous peine d’amende, à toutes les instances d’autorité ou de responsabilité sociale, excepté, paradoxalement, lorsqu’il s’agit de celle qui regarde au plus faible, à l’être envers qui on est présumé se devoir le plus responsable.
   Fichtre, fichtre…que de passion pour les enfants ! Que faire valoir de plus qu’autant de passion pour mériter d’en avoir ? Une passion aussi effrénée : aussi insensible à tout calcul, à toute cohérence, à toute rationalité…

       Mais on l’a dit, c’est en premier lieu dans l’expression même d’un « mariage homosexuel » que se loge l’absurde, implicatif de toutes les contradictions qui s’ensuivent.
   Le mariage signifie, dans sa seule notion aussi bien que dans l’usage le plus extensif du terme, l’idée d’un optimum d’accord dans un maximum de différence ou d’altérité. Selon cet usage ordinaire, un « mariage réussi » est une hétérogénéité harmonieuse. On ne marie pas le pareil au même. Dans son acception la plus générale, nous parlons, par exemple, de « marier », y compris en un seul et même individu, la douceur et la fermeté, la force et l’humilité, etc. On voit ici que le mariage n’exclut d’ailleurs pas moins la complémentarité que l’identité. La complémentarité n’a de sens que logique : elle ne requiert aucunement l’improbabilité d’une harmonie gagnée sur la pure altérité, voire l’étrangeté l’un à l’autre, de deux, a priori, indépendants l’un de l’autre.
   Appliqué à l’ordre des sexes, un mariage dit « homosexuel » n’est donc rien de plus qu’une figure de style, à dire vrai un simple jeu de mots dont il serait seulement convenu de ne pas rire. Ce qu’il faudrait en réalité appeler « l’homogamie » se présente immédiatement comme une contradiction « ab ovo ». C’est la contradiction interne à laquelle tend justement toute forme d‘endogamie. Le mariage est au contraire l’épreuve, par excellence, de l’ouverture, de l’échange des différences d’où procède sa fécondité, sa capacité d’imprévisible nouveauté (celle dont Bergson caractérisait le vivant), bien au-delà et tout à fait indépendamment ici encore d’aucune considération biologique.
   Pour le résumer d’une formule, « ouvrir » à l’homogamie, c’est juste l’inverse d’« ouvrir le mariage ».
 
  Seulement voilà, on est ici dans la logique : les archaïques diront « dans le simple bon sens », les vrais modernes, « dans l’abstraction ». Marier des couleurs (voire des nuances ou des tons) : abstraction ! Le concret, c’est de marier le rose et –rien que le rose (indifféremment à toute autre spécification, jugée sans nul doute, au regard de celle-ci, secondaire). La preuve que c’est du concret, c’est qu’on se moque bien, en l’occurrence, de savoir ce que veut dire « marier », ni d’ailleurs de rien « dire ».

       Mais s’en moque-t-on tellement ? Et pourquoi tenir tant, alors, à ce mot de « mariage », si ce n’est pour ce qu’il signifie encore d’implicite fécondité ? D’où la revendication, derrière, non pas seulement de l’adoption, mais bien d’une filiation qui se doive toujours plus égale à celle d’un authentique mariage.
   Il faut se garder d’une appréhension naïve de l’absurde. Autant que de la folie. La folie n’implique pas l’inconscience de sa folie. Et elle aussi dispose de toutes les ressources de la logique, même si c’est une logique délirante : au service de son délire. C’est donc finalement dans ce délire qu’il convient tout de même de se résoudre à entrer si l’on veut suivre jusqu’au bout, maintenant, la logique de l’absurde.
 
  On l’a vu, la fiction de l’homogamie ne vise à rien de moins que l’institutionnalisation d’une filiation homosexuelle, c’est-à-dire dissociée, non pas, bien entendu, de la conjugalité, ni donc de toute sexualité, mais seulement de l’altérité sexuelle, autrement dit de la sexuation.
 
  Ce qu’on appelle en effet « sexuation » n’est pas le simple fait de disposer d’un sexe, comme d’un objet de jouissance éventuellement solitaire, c’est de n’en disposer que d’un sur deux et de ne pouvoir se reproduire que sous la condition de l’union des deux. Cette condition participe de la nature animale de l’homme qu’il lui est naturellement loisible de renier, mais non sans se contredire, ce qui est la définition même, en tout cas logique et mathématique, de l’absurde.
 
  Néanmoins, la contradiction de soi que constitue le reniement ou le déni de sa sexuation ne saurait, sans y perdre toute crédibilité, prendre la forme brutale d’une immédiate contestation de l’évidence : elle consiste plutôt dans une objectivation du sexe comme abstrayable de la personnalité de la personne, en elle-même dès lors asexuée, quoique non moins capable de sexualité puisque jouissant, à la différence des anges, d’un sexe propre, mais comme d’une propriété censée ne déterminer en rien l’identité de qui la possède et se doit de pouvoir en jouir en toute liberté.
   Quand on parle, au contraire, de « l’union des sexes » ou de « parité entre les sexes », chacun notera qu’on ne se restreint pas aux organes génitaux, on parle bien et de l’homme et de la femme dans l’intégrité de leur personne et c’est justement cette assomption en elle de la sexuation qui les affranchit du caractère strictement animal de l’acte sexuel d’où procède la génération. Ce qui est affirmé par là, c’est que la spécificité humaine de la génération tient à ceci que les acteurs en soient respectivement tout entiers engagés dans leur acte et autant l’un à l’égard de l’autre que de l’enfant qui pourra en naître et qui restera pour toujours, et jusqu’au-delà de sa mort, leur enfant.

       Tout « mortel », c’est-à-dire tout humain, demeure, au-delà de sa mort, un enfant et dont survit l’enfance à la mort, autant que de sa naissance la source vitale, en ses parents, déborde sa naissance et le flux de sa filiation. Il n’y a qu’en une telle assomption de son animalité qu’il puisse la dépasser sans la contredire et par là reprenant à son compte, afin de la déchiffrer, l'énigme de sa naissance, de cette multiplication, l'un par l'autre, de l'un et de l'une qui seule donne trois, véritablement ainsi accomplir l'unique sens dans lequel il y en ait à se vouloir, pour ainsi dire, divin : à soi-même sa propre cause.
   Car c’est bien là, quoique sur un mode encore fantasmatique, le désir qui préside à l’absurde refus de la sexuation, c’est-à-dire, en profondeur, de la vérité de sa propre génération et de l’initiale dépendance qu’elle implique, et d’un homme et d’une femme qui se seraient, pour toute une vie, unis l’un à l’autre : toute une vie, à savoir au moins la sienne, et peut-être plus d’une, et autant que leur vie les en aura bénis.

       Encore deux observations.

       D’abord, qu’il soit permis à un esprit libre de s’étonner de ce qu’on puisse vouloir se cataloguer « homosexuel ». Comment définitivement exclure de se voir jamais attiré par l’autre sexe ?
   On prétend que l’amour, et même l’amour physique, transcende l’appartenance de la personne aimée à un sexe plutôt qu’à l’autre : mais pourquoi, dans ces conditions, se limiter à son propre sexe ? Qu’est-ce qui justifie un pareil décret et, pour commencer, une pareille prétention à se connaître soi-même, jusque dans l’insondable profondeur de sa capacité de désirer ? Qu’est-ce qui permet de se savoir a priori déterminé, comme par une disposition de nature, à ne pouvoir désirer qu’une personne de son sexe ?
   Il y a là quelque chose d’incompréhensible et qui, en outre, affecte l’appréhension de l’ensemble de la sexualité en substituant à la dualité inhérente à la sexuation celle, d’un côté, des homosexuels et de l’autre, du coup, des hétérosexuels qui se trouvent soudain enfermés, eux aussi, dans une catégorie dont ils n’avaient jusqu’alors jamais éprouvé le besoin de se réclamer –à quoi les obligera néanmoins désormais l’inéludable opposition de deux espèces de mariage, donc d’engagement, l’un « homosexuel », l’autre, par voie de conséquence, nouvellement prétendu « hétérosexuel ». En un sens homologue au premier.
   Une absurdité de plus, mais tout à fait consciente et calculée, il va sans dire : en parfaite cohérence avec le délire ou la logique délirante qu’avait mise à jour le précédent développement.

       La seconde observation est liée à la première : elle porte sur le déterminisme que présume l’autorestriction à l’homosexualité, une démonstrative illustration du caractère prophétique de la sentence de Pascal que l’homme n’étant « ni ange ni bête », le malheur veuille qu’à se prétendre angélique, en ce qu’abstrait d’aucune sexuation, il fasse en réalité « la bête », ici asservi à une détermination sexuelle supposée le définir. Et plus encore qu’il ne le récusait de sa sexuation.
   L’objectivation abstractive du sexe, dont nous parlions plus haut, en tant qu’objet de jouissance dissocié de sa fonction génitale en même temps que de la personne qui en jouit implique de la sorte, pour premier effet, une déresponsabilisation proportionnelle de l’acte sexuel aussi bien que de ses conséquences, à commencer par la génération qui peut alors elle-même s’objectiver en un bien, à savoir l’enfant, normativement dissociable du processus de sa production, en tant que produit disponible et commercialisable selon les lois les plus rigoureuses de la concurrence et, en tout cas, le système juridique du marché, qu’il soit public (par la médiation de l’impôt qui en finance le service) ou privé.
 
  Ce qu’il faut bien comprendre, c’est la grossière naïveté qu’il y aurait à ne voir là qu’un dommage collatéral à une disposition en soi généreuse et de bonne volonté. Ce que nous avons présenté comme une implication de l’homogamie en constitue en réalité un objectif prioritaire et ce, à un double titre :
- « ouvrir », non pas aux « homosexuels », un prétendu « droit au mariage », mais à la loi du marché le vivant, et en particulier humain, non plus seulement sous la figure du travailleur, mais de l’humain à naître dont les perspectives de profit sont exponentielles, avec l’avantage d’être aussi durables et renouvelables que l’humanité elle-même –voilà de l’écologie bien comprise !
- mais surtout faire fond (à fond) sur le principe d’égalité pour ne cesser d’augmenter, dans le processus de sa production, les garanties de qualité, donc aussi la qualité, du produit : autrement dit, s’assurer une constante amélioration de l’espèce par l’espèce, en définitive supposée conforme au désir inavoué de chacun, que l’humanité tout entière devienne autant qu’il se puisse, en effet, divinement, cause de soi, telle que déjà projetée, à l’échelle individuelle, dans la figure fantasmatique de l’Asexué détaché d’aucune parenté biologique, d’aucune autre génération que sa propre autogenèse.

       Malheureusement, c’est l’éternelle histoire de la malédiction du vœu exaucé : le plus haut que l’homme puisse concevoir de l’homme sera toujours tributaire du plus bas d’où il l’aura conçu. Et il n’est donc pas exclu que nous n’ayons rien à redouter de pire que le mieux que nous serions en état de nous souhaiter – y compris, une fois là, de le prendre pour le mieux !
  
La seule certitude est que la divinité que nous nous serions préparée n’aurait rien d’une œuvre divine : c’est entre autres ce dont nous avertissent toutes les autorités religieuses qui se sont exprimées sur le sujet.
  
Et l’on peut tout de même se demander, pour finir, si la simple « séparation » des Eglises et de l’Etat qu’impose la laïcité est plus compatible que ce n’est le cas dans la « séparation des pouvoirs » avec une contradiction radicale, ici, entre l’Etat d’une part, et de l’autre, l’unanime protestation de toutes les Eglises, a fortiori s’agissant d’une loi qui force jusqu’à l’intime de la conscience de ceux dont l’office est de l’appliquer.
   La réponse est évidemment : non. Cette loi est anti-laïque, outre qu’elle est anticonstitutionnelle à de multiples égards, et quoi que puisse en déclarer la pitoyable coterie qui nous tient lieu de Jurie constitutionnelle. 
   En vérité, nous sommes bien d’ores et déjà sortis de l’Etat de droit. Ce pouvoir n’a plus aucun droit au droit. Nous ne lui reconnaissons donc plus désormais, et jusqu’à nouvel ordre, aucune autorité sur nous, autre que tyrannique. Laquelle n’appelle d’autre obligation, et constitutionnelle, que l’insurrection.

       L’insurrection n’aura sans doute pas lieu. Du moins prévisiblement pas sur ce motif, même s’il est le plus révélateur d’une délégitimation qui la légitimera sur n’importe quel autre.
   Sur celui-ci, on ne voit guère que les catholiques à pouvoir constituer la masse critique d’un authentique soulèvement populaire.
   Mais d’abord ils répugnent à la violence, y compris (et peut-être à tort !) celle du fouet contre les marchands du Temple, ne serait-ce le Temple que de la République.
   Ensuite, leur laïcité est autrement radicale que celle de l’anticléricalisme à la petite semaine d’un « Monsieur petites blagues » ou d’un petit père la Fureur et Grand Fracas, parce qu’elle se fonde sur l’impératif directement évangélique d’une véritable « séparation », cette fois, entre les affaires de Dieu et celles de César (jusqu’en son acception la plus césarienne).
   Et enfin, ils sont au fond beaucoup trop sûrs d’eux, à moins que ce ne soit de leur Eglise. Qui aurait plus à gagner à ce que sombre dans l’insignifiance et le grotesque de l’absurde une institution qui n’aura jamais été à leurs yeux que la vaine pantomime supplétoire d’un acte où ils ne voient de teneur que sacramentelle ?
   C’est aussi pourquoi leurs manifestants furent si massivement paisibles : ce n’était pas pour eux qu’ils protestaient, mais justement pour le retour dans son droit d’un Etat fort loin de n’offenser qu’eux. Et moins leur foi que le moindre bon sens.

       Ave et vale !  

 
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II- Eléments de réflexion pour un éventuel recours en inconstitutionnalité
 sur l'institutionnalisation d'un mariage homosexuel ouvrant à l'homoparentalité

(P-M Hasse, février 2013)
 


 

    Il revient par excellence au droit de redresser – voire d’annuler : par exemple, un contrat obtenu par chantage.
  
C’est donc aussi une opportunité qu’il incombe à ses plus hauts représentants de saisir, pour l’approfondissement, l’enrichissement et le renforcement de la conscience républicaine, que d’avoir à mettre en évidence les contradictions implicites à un projet de loi qui aura pu recevoir, de prime abord, sinon l’adhésion positive, en tout cas, dans un contexte politique et idéologique à la fois complexe et contraignant, le consentement plus ou moins réticent, réfléchi ou bien informé, d’une majorité (quoiqu’assez courte, par ailleurs) d’électeurs invités à se prononcer, non sur sa matière, mais (entre autres) sur l’orientation générale d’un programme dont il était censé ne constituer qu’un soixantième (et assez négligeable pour dispenser, en la circonstance, d’aucun débat contradictoire).
  
Le projet de loi ici en cause vise à l’institutionnalisation d’un mariage homosexuel ainsi que de l’homoparentalité qui en découle.



 
       1er motif : Détournement du sens du droit et de la revendication d’un droit

       Peut-être faut-il commencer par le rappeler : s’aimer n’a jamais donné aucun droit. Considérer que le simple fait de s’aimer, voire d’entretenir une relation sexuelle régulière avec une (ou pourquoi pas plusieurs) même(s) personne(s), donne droit à une protection juridique, à des avantages sociaux et fiscaux, conduirait à des aberrations. Les amours les plus farfelues s’en trouveraient financées par la collectivité  nationale, la polygamie devrait être reconnue et les demandes en reconnaissance de droits deviendraient aussi nombreuses, changeantes et éventuellement contradictoires que les fluctuations du sentiment amoureux.

   Le droit, au contraire, a pour fonction, entre autres, de permettre une stabilité dans la sécurité. Que deux personnes s’aiment ne crée aucun devoir de la société à leur égard, car c’est sans incidence pour elle, si ce n’est au sens où lui serait sans doute plus avantageux que tout le monde s’aime (ce qui n’induit nullement que tout le monde s’épouse).

       2ème motif : Contradiction du sens du droit

       Ensuite, on ne saurait subordonner le droit au fait –et encore moins là où le fait contrevient à la loi : de ce qu’il y ait des enfants qui se trouvent en situation d’homoparentalité, on veut conclure, contre tout sens juridique, qu’il faudrait l’ériger en modèle possible à valeur normative. Mais il existe aussi des orphelins dépourvus de parents adoptifs, des enfants fugueurs, des adultes fraudeurs ou consommateurs de drogues, on n’érige pas pour autant ces situations de fait en normes, bien entendu.
  
Le droit est normatif ou il n’est pas. La fonction du droit n’est pas, ne peut pas être d’ériger en normes des situations de fait, sans quoi, confondant ce qui est de fait et ce qui est de droit, et surtout soumettant le droit au fait, on le prive de toute espèce de signification : le vol suffirait à justifier, à proportion de sa fréquence, la conversion de toute propriété individuelle en propriété collective, le chômage, l’abolition du droit au travail et par conséquent à une indemnisation du chômage, etc.

       3ème motif : Contradiction du sens de l’évolution actuelle du droit 

       Il ne s’agit pas de nier que certains droits doivent naître de l’évolution des faits, pour éviter un vide juridique. Il y a cependant une différence entre l’adaptation de la normativité du droit aux évolutions des comportements ou situations de fait (laquelle adaptation peut elle-même donner lieu à une évolution jurisprudentielle du droit) et la conversion d’une situation de fait en une situation de droit, au seul motif qu’elle serait de fait.
   La revendication et la reconnaissance d’un nouveau droit ne peut représenter un progrès qu’à la mesure de la valeur normative qu’il confère à son objet. C’est cette valorisation normative qui justifie l’institution du mariage sous sa forme actuelle. Tout ce qui, dans l’institution du mariage entre personnes de même sexe, entrerait en contradiction avec l’actuelle valeur normative du mariage, ne signifierait donc rien de plus qu’une dévalorisation proportionnelle de la normativité du mariage entre personnes de sexe opposé –à commencer par la différence entre les sexes des parents.
  
Or elle serait en cela incohérente avec l’évolution actuelle du droit dans le sens de la parité entre les sexes appliquée à toutes les instances d’autorité de la société, laquelle parité ne perdrait donc (régressivement) sa valeur normative que dans le seul cas de l’autorité parentale.
  
S’il est un domaine d’où l’incohérence devrait être exclue, c’est justement celui du droit.

       4ème motif : Contradiction  du principe d’égalité

       MAIS SURTOUT, ce qu’il s’agit là de rendre normatif, c’est l’exclusion de l’autorité parentale de l’un  au moins des parents biologiques sans aucune autre justification objective que sa différence sexuelle, ce qui est une discrimination de principe, que la victime en soit consentante ou non –et qu’elle appartienne à l’un ou à l’autre des deux sexes (deux discriminations opposées n’équivalent aucunement à une absence de discrimination, pas plus que deux racismes réciproques ne s’annulent). Car ce qui est proposé n’est pas seulement d’enregistrer comme une donnée à traiter juridiquement la réalité d’une parentalité dissociée de la parenté, par accident ou par défaut, mais bien d’institutionnaliser a priori leur dissociation, en la posant comme normative et, dans le cas de l’homoparentalité, au détriment de l’un ou l’autre des deux sexes en tant que tel.
  
Non seulement l’institutionnalisation du mariage homosexuel rendrait donc normative la rupture de la parité entre sexes à l’intérieur du couple parental, mais la privation d’autorité parentale qu’elle implique a priori et normativement pour l’un ou l’autre des deux sexes frappe ce projet d’inconstitutionnalité au motif de discrimination sexuelle.

       5ème motif : Contradiction de l’irréductibilité (constitutive de tout sujet de droit) de la personne à un moyen

       Exclure normativement de la parentalité celui des deux sexes qui se trouverait normativement exclu de la conjugalité, ce serait en outre, et dans le sens de sa discrimination, normativement le réduire à sa seule fonction instrumentale d’agent de reproduction.
   Poser ainsi la différence des sexes comme indifférente à la parentalité dont elle ne serait rien de plus qu’une condition biologique à la fois nécessaire et auxiliaire ou supplétive, c’est bien ce qu’implique pourtant l’adoption homoparentale qui contient donc en elle-même déjà le principe de la gestation pour autrui, au nom de l’égalité, non plus entre hétéro- et homoparentalité, mais, a fortiori exigible, entre homoparentalités masculine et féminine.

       6ème motif : contradiction du sens républicain du mariage et du droit de l’enfant

       Le fondement d’un statut civil du mariage et de la contribution sociale qui lui est dévolue, c’est qu’il instaure les conditions objectives les plus socialement favorables à la possibilité de la procréation et de l’éducation : de toutes ces conditions, la première à laquelle soit intéressée la société, a fortiori une société républicaine, c’est la jouissance par l’enfant d’un droit spécifique à l’expérience la plus précoce et la plus durable du plus d’égalité dans le plus de différence, et en particulier dans la différence entre les sexes qui est la plus constitutive de sa propre génération en ce qu’elle a de commun avec celle de tout sujet humain.
  
Cette égalité est donc aussi la première à laquelle ait droit tout enfant dans l’expérience, irremplaçable parce que la plus directe et normativement durable, de la relation entre ses parents (qu’ils soient biologiques ou non) et de ses parents à lui-même (comme à ses éventuels frères ou sœurs).

       7ème motif : Détournement du sens de l’égalité

       On ne saurait, sans rompre avec l’esprit du droit qui inspire toute notre tradition juridique, substituer à l’égalité entre les sexes une égalité entre les sexualités, c’est-à-dire entre plusieurs comportements ou conduites : le principe d’égalité n’a jamais signifié une égalité entre comportements, par exemple ceux du gendarme et du voleur, mais aussi de l’entrepreneur et de l’enseignant, de l’architecte et du chirurgien, etc.
    
Tout le monde a le droit d’être chirurgien, mais à condition de n’avoir pas suivi, pour opérer, une formation d’architecte. C’est ainsi que tout le monde a le droit de se marier, à condition seulement de se conformer à ce que suppose le mariage dans une société normativement cohérente. Ce n’est pas au mariage de se conformer au droit de tous au mariage, pas plus qu’à la chirurgie d’évoluer de façon à ce que tous puissent l’exercer.
   
Cette confusion entre le sujet du droit et son objet – entre l’égalité des sujets de droit et une égale immédiate adaptabilité à tous de ce qui est objet de droit –, c’est la même qui conduit à faire de l’enfant un droit en tant qu’objet de droit, comme il suit des motifs déclarés de la promotion d’une homoparentalité normative.

 

       L’explicitation, au contraire, des raisons de l’inconstitutionnalité du projet de loi en cause et de son incompatibilité plus générale aussi bien avec les principes normatifs d’une société républicaine qu’avec les fondements les plus élémentaires du droit présente l’avantage insigne de permettre, à cette occasion, non seulement de rappeler, mais de clarifier, en la précisant et en l’actualisant, la très profonde, rigoureuse et, plus que jamais, révolutionnaire cohérence du mariage civil, sous le régime d’une République.
   Cette cohérence demeure en effet, et plus que jamais, révolutionnaire en ceci qu’assumant pleinement l’animalité de la nature humaine, en particulier dans sa sexuation, elle ne l’en élève pas moins distinctement, tout entière et dès la naissance (art. 1 de la Déclaration de 1789), à la dignité d’une personne, donc d’un sujet de droit, irréductible, et a fortiori dans son intimité, à aucune instrumentalisation, ni marchandisation, ni assimilation à un objet de droit : ce qui est au principe, et de la Liberté de chacun, et de l’Egalité de tous, et de la Fraternité qui les unit, au-delà de toute contingence ou nécessité de fait.

 

 
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