Les
conséquences du rejet du TCE |
Et maintenant
? |
Suites... | |||
C’est vrai que plus je l’analyse
et que plus j’en étudie les critiques, aussi, et cherche
à les comprendre, plus géniale m’apparaît,
et génialement pertinente, je ne dis pas la Constitution de la
Vème République, sans doute améliorable sur
plus d’un point, et d’ailleurs conçue pour l’être,
mais précisément ce qu’on cherche à toute
force à en remettre en question, à savoir sa structure
générale de l’organisation des pouvoirs : de
toute évidence le fruit d’une très longue et très
profonde maturation qui puise à des siècles d’expérience
et de réflexion politiques pour finir par prendre corps, à
un moment de notre Histoire, dans une communauté bien sûr
limitée de personnes singulières, mais dont la singularité
tient d’abord à cet enracinement même et à
une commune volonté d’assumer enfin pleinement et lucidement
l’incroyable défi de l’idéal républicain
dans un monde auquel il semble, il a toujours semblé, il ne peut
que sembler insensé, voire intolérablement perturbateur.
Je me suis efforcé dans
« La voie
française dans le monde qui vient » d’expliquer
positivement le sens et l’intérêt que je voyais à
une telle construction, et dans l’absolu, et au regard de notre
Histoire, de la totalité de notre Histoire, monarchie comprise,
dont la Révolution ne s’est pas voulue un pur et simple
effacement, mais un renversement et un dépassement, et d’abord
dans le transfert ou l’extension de la souveraineté politique,
de la personne royale à celle, collective, de la nation. Puis
j’ai tenté d’approfondir, dans mes «Eléments
de réflexion…» sur l’élection
présidentielle directe, le sens qu’il me semble devoir
donner aussi bien à la fonction présidentielle que, plus
fondamentalement, à l’acte même de voter. C’est
là que j’ai parlé de la « souveraineté
du suffrage populaire » et, pour ceux qui m’auraient lu,
je ne pense pas être suspect, sur cette question, d’une
quelconque forme d’anti-populisme, plus ou moins élitiste. Je ne procède à cette
mise en perspective que pour inscrire ce qui suit dans une cohérence
d’ensemble, non pour obliger le lecteur à s’y référer
: bien au contraire, je ne supposerai rien de connu, dans ce qu’on
va lire, de ce que j’ai déjà pu écrire sur
le sujet et que je ne craindrai pas de reprendre, si besoin est, de
préférence avec plus de clarté que précédemment.
I- Contre la loi du grand nombre
II- La vertu du droit
III- Une lecture schizophrénique de la séparation des pouvoirs
VI- L’implicite primauté du pouvoir judiciaire
VII- L’avènement de l’élection présidentielle directe
VIII- La séparation au-delà de la limitation
IX- Constitutionnalité d’une Constitution, selon l’article 16 de la Déclaration
Apostilles
Tout d’abord justement sur
la clarté, ou plutôt le défaut de clarté
ou de lisibilité, même, de certains passages de mes développements
: j’en suis très sincèrement désolé.
Je suis conscient que j’économiserais sans doute le temps
de mes lecteurs si j’avais moi-même celui d’être
plus lent et donc plus progressif, quitte à en devenir aussi
beaucoup plus long. Il y a une espèce d’incivilité,
au sens le plus fort du terme, dans ce déséquilibre des
deux temps, celui de l’écriture et celui de la lecture,
l’excès de celui que je demande et le défaut de
celui que j’ai à donner. Significatif me semble, a contrario,
l’extrême et constant souci de clarté qui caractérise
l’usage traditionnel de la langue française, comme si elle
se préparait depuis toujours à cette exigence de communicabilité
universelle immédiate que requiert en propre l’idéal
d’une fraternité républicaine. Voilà donc ce qui me permettait
d’arguer, dans mon avant-propos, d’une cohérence
de longue haleine qui devrait à tout le moins attester de mon
effort de réflexion. Maintenant, sur le présent texte, je tiens à préciser plusieurs points. Un lecteur d’Etienne Chouard
n’aura pas manqué d’y reconnaître ma référence
oblique à son propre travail et une claire divergence d’avec
lui, me semble-t-il, à peu près sur tous les sujets abordés
(du moins comme il les abordait à l’époque déjà
trop lointaine, je lui en demande encore pardon, où il avait
sollicité ma lecture critique de ses premiers développements
quant aux « grands
principes d’une bonne Constitution », alors
que j’étais moi-même hors d’état de
m’en acquitter de la façon dont j’aurais voulu et
dont j’espère m’approcher un peu dans ce texte qu’en
tout cas, je lui dois donc entièrement). C’est dire que l’aspect
parfois pamphlétaire de mon expression ne signifie pas une entrée
en polémique. Je concède la subtilité de cette
nuance, mais il me semble que la polémique suppose un antagonisme
entre deux partis, alors que moi, je ne vois personne (à quelques
rares exceptions près) dont je ne me sente, au moins sur le plan
théorique, résolument distant. Encore une fois, je ne cherche à forcer
aucune liberté. Seulement à être entendu. |
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Problème
: étant admis que, pour un peuple résolu à ne pas
se laisser assujettir par une puissance extérieure à sa
volonté, il est nécessaire de se doter d’un Etat
fort et donc d’un chef d’Etat dont la légitimité
se fonde, au moins pour une part, mais pour une part décisive,
sur sa propre élection au suffrage universel direct, comment
prévenir la possibilité qu’un candidat ayant obtenu
moins de 20% des suffrages exprimés lors d’un premier tour
de scrutin soit finalement élu à plus de 80% et cela,
sans aucun débat démocratique entre-temps ni aucune prise
en considération d’une telle défaveur populaire
dans l’explicitation de son programme ?
L’enjeu est de permettre
au peuple d’exprimer un choix le plus positivement conforme à
sa volonté.
1- La méthode Condorcet Le premier suit la méthode
préconisée par Condorcet dès 1785 dans son «
Essai sur l’application de l’Analyse à la probabilité
des décisions rendues à la pluralité des voix
». On considère que le classement de chaque bulletin contient
une réponse de l’électeur à toutes les alternatives
entre deux quelconques des candidats classés : (c>a>b)
–> (c>a), (a>b) et (c>b). Il n’y a plus qu’à
calculer lequel, de tous les candidats, aura été le plus
préféré aux autres.
Un deuxième procédé
peut sembler surmonter cette objection qui n’est pas seulement
d’ordre technique (ni la seule de cet ordre), mais d’abord,
à mes yeux, normative : c’est celui (connu sous la détermination
incongrue de « vote alternatif ») qui consiste à
se fonder, cette fois, sur la position accordée par chaque électeur
à chacun des candidats relativement à l’ensemble
des autres, mais pour s’en tenir à la recherche d’une
majorité absolue parmi les seuls premiers de chaque liste, à
défaut de laquelle, au terme du premier décompte, se voit
éliminé de toutes les listes le plus minoritaire des premiers,
tous ceux qui le suivent, selon les différents ordres de chaque
liste, montant alors d’un rang et ainsi de suite, jusqu’à
ce que, dans l’ensemble des candidats parvenus en tête à
l’issue de cette succession de désistements mécaniques,
s’en dégage nécessairement un qui recueille la majorité
recherchée.
Reste une troisième possibilité
qui échappe aux aberrations des deux premières : celle
du vote « pondéré » où la majorité
ne résulte que de la simple considération de la position
de chacun des candidats dans chacun des classements. II- Apologie de la pondération
1- La physique politique de Borda On doit la réactualisation
de ce système (déjà utilisé par le Sénat
romain) et sa théorisation (dès 1770, avant celui de Condorcet,
puis contre lui) à un personnage remarquable, exceptionnellement
polyvalent et inventif, en matière technique aussi bien qu’en
mathématiques et en physique, navigateur et militaire, en outre
capable d’un courage héroïque, l’un de ces prestigieux
héritiers, au siècle des Lumières, du Grand Siècle
(il est né en 1733), le chevalier Jean-Charles de Borda.
Il faut en effet d’abord
prendre en compte (parmi d’autres considérations convergentes)
que, si on se place dans l’hypothèse la plus simple d’une
réponse à une alternative donnée (par exemple :
approuvez-vous la déclaration de l’état d’urgence
dans telle situation), ce n’est pas la proportion de la majorité
qui permet d’indiquer l’intensité de l’adhésion
de chacun des votes qui la composent à celle des deux options
choisie. Une majorité dite « massive » peut n’être
que volumineuse, et d’un volume aussi volatil que léger,
c’est-à-dire exprimant une inclination infime et quasi
forcée de chacun de ses composants, face à une minorité
dont la masse peut être bien supérieure à celle
de ce volume.
En revanche, plus se multiplient
les options pour un même scrutin, plus la pondération de
chacune devient effectivement pondératrice en même temps
qu’expressive du sens et de l’orientation qui président
à sa position dans chacun des classements. Digression anecdotique A l’opposé d’une
légende qu’un mixte incertain d’ignorance et d’incurable
ressentiment à l’égard de de Gaulle et de "sa"
Constitution tend aujourd’hui encore à divulguer en diverses
publications s’efforçant d’en accréditer la
vision d’un bricolage institutionnel plus ou moins malhonnête
et improvisé à la va-vite, je tiens d’abord à
signaler que le principe du vote par classement à valeur directement
décisive a bien été envisagé lors de la
délibération du gouvernement sur le mode le plus souhaitable
de scrutin à proposer pour l’élection du Président
de la République au suffrage universel. Et quand je dis «
le plus souhaitable », il est clair que ce n’était
pas pour la personne de de Gaulle dont il était, à l’époque,
difficilement imaginable que l’élection ne se fût
pas accommodée de n’importe quel système électoral
–considération qui devrait au moins porter à un
degré d’impartialité suffisant pour en juger raisonnablement
l’examen du système adopté. III- Retour au fondement du vote
1- En amont de la démocratie Il faut commencer par dissiper
un malentendu. Si le régime politique de la démocratie
implique bien le vote comme processus plus ou moins directement fondateur
d’une décision ou de la délégation d’un
mandat décisoire, cette implication n’est nullement réciproque
: un vote n’a rien, en soi, de spécifiquement démocratique
–et en cela, même dans ses plus strictes conditions de régularité,
il n’est pas du tout à lui seul une garantie de démocratie.
Car une distinction s’impose
maintenant : la volonté fondatrice de s’en remettre au
vote modifie en profondeur le sens de la détermination selon
laquelle chacun s’engage sur la décision à prendre
et qu’il exprime par son vote.
Je dois toutefois immédiatement
me garder d’un nouveau contresens : quand je dis que l’expression
d’un vote se limite à celle d’un vœu, cette
limitation n’affecte que le mode selon lequel s’exprime
la détermination qui était celle de la volonté
–elle ne l’atténue en rien, et bien au contraire
! IV- Le paradigme d’Aristide
1- L’invention de l’isoloir Je commencerai par observer que,
comme on connaît les athéniens, il n’est pas du tout
dit que la réponse du paysan soit à prendre davantage
à la lettre que celle d’Ulysse à Polyphème
lui demandant son nom : « Personne » se moque Ulysse «aux
mille tours»…avec plusieurs d’avance pour l’heure
où, lui ayant crevé l’œil, il en ferait la
risée des autres cyclopes accourus s’enquérir du
responsable.
Celui qui vote est supposé
affranchi de tout conditionnement, et non pas seulement externe, mais
interne, et moral aussi bien que rationnel, affranchi par conséquent
aussi de sa propre personnalité, je veux dire de tout ce qui
le distingue de tout autre. Et c’est très précisément
la supposition de cette inconditionnalité de sa liberté,
où il est seul à se déterminer, qui le suppose
en même temps l’égal de tout autre, au sens où
il est, en effet, potentiellement n’importe quel autre : où
il ne se détermine que sur le fondement d’une indétermination,
d’une illimitation dans laquelle s’abolit sa distance à
quelque autre que ce soit, où il est, à la lettre, "égal"
que ce soit lui ou un autre qui se détermine, dans le pur anonymat
de l’isoloir, baptistère d’une espèce de mort
à soi-même pour une renaissance à la liberté
des égaux constitutive de la République, il est égal
que ce soit lui ou un autre qui échappe ainsi publiquement à
la vue de tous –en quoi se révèle une fraternité
plus profonde que de prime abord, du paysan d’Aristide à
Ulysse quand, se rebaptisant « Personne », il se
revendique aussi bien, non pas certes « Le Juste »,
mais n’importe qui.
Et j’en
viens maintenant, sur le sujet, à ce que je tenais le plus à
dire : c’est que, non seulement la stricte possibilité
de l’irrationnel participe de l’entière liberté
du vote, mais qu’à ce titre même, elle peut s’avérer
d’une fécondité vitale pour la détermination
de cette liberté.
1- Recentrement sur le sens du vote Je reviens encore une fois sur
la possibilité fondatrice de l’irrationalité du
vote. J’espère avoir montré que, si le vote le plus
irrationnel valait autant que le plus rationnel, alors il fallait en
conclure qu’a fortiori tout vote en valait n’importe quel
autre. C’est le fondement de l’égalité des
voix, si choquante pour ceux qui ne comprennent pas qu’un vote
ne vaut pas en tant qu’il serait l’expression d’un
jugement plus ou moins compétent, mais d’un vœu, qui
relève d’abord de la liberté de la volonté,
dans la décision de voter, puis de celle du désir dans
le contenu du vote, et non d’une intelligence ou d’une raison
plus ou moins bien formée ou informée.
Il nous faut donc prendre en compte
qu’il y a, dans toute élection, pour tout électeur
qui ne s’est pas proposé lui-même au suffrage, un
acte fondamental de reconnaissance, dans un autre que soi, d’une
liberté, sinon plus apte, au moins plus disposée que la
sienne à se mobiliser entièrement sur un projet de service
du bien commun conforme à l’idée qu’il s’en
fait.
Mais quoi qu’il en soit de la médiocrité d’un élu sans foi ni loi et de l’énormité de son inconduite, seule son élection directe par le peuple peut lui donner le pouvoir d’en référer directement à lui, et précisément au pire de sa délégitimation, et ne serait-ce que dans le pire dessein d’un pari sans frais sur la restauration de son crédit. De sorte que cette solidarisation objective d’un homme à sa nation, et ainsi conçue, je veux dire selon ce rapport direct au peuple, et potentiellement réciproque, le grandit malgré lui bien au-delà de l’indignité de sa personne –l’actuelle absence de vergogne au pouvoir en est une démonstration a fortiori –et elle va jusqu’à lui conférer une forme de sacralité toute laïque dont le fondement tient à la matière même de son investiture. a- La prouesse de Winkelried C’est qu’il y a là
une dimension sacrificielle que chacun ressent bien, plus ou moins confusément.
Sinon, est-ce que la seule réaction saine à la déclaration
de candidature de qui que ce soit pour présider, où que
ce soit, aux destinées de tous les autres, ne devrait pas se
traduire par un immense éclat de rire collectif ? Pareille prétention
suffirait à discréditer quiconque l’affiche. b- L’anti-"logique du marché" L’Histoire qui se joue peut
évidemment toujours se lire à différents degrés
de hauteur, de largeur ou de profondeur. N’empêche que le
plus roué des candidats n’en sera encore que le plus niais
s’il ne se doute pas que, du plus court au plus long terme, le
cruel matois qui ne dort jamais que d’un œil, au tréfonds
du bon peuple, ne guette que celui dont il pourra se faire son meilleur
Winkelried. Non pas certes simplement quelque héroïque victime
(attention, tout de même, c’est aussi une pose où
le nouveau Vizir excelle !), mais un homme à l’envergure
d’une brassée de première ligne de lances et qui
lui manifeste une dévotion, non pas à lui, mais à
la nation et à son Histoire tout entière, digne d’un
tel vote. c- Le temps de l’élection Je concède la rareté,
l’improbabilité sans doute, que le prétendu modèle
du marché se hisse, à l’occasion d’un vote,
jusqu’au degré d’accomplissement, de noblesse et
de beauté d’un tel marché, pareillement faussé,
de pareilles fausses dupes. Mais si exceptionnelle qu’en demeure
la possibilité, elle suffirait à elle seule à fonder
l’institution des conditions ordinaires à défaut
desquelles, simplement, elle serait exclue, à cette échelle
en tout cas, la seule qui lui donne toute sa portée. J’ai longtemps
cru que Chirac serait le fossoyeur de la Vème République
et, en particulier, de sa définition de la fonction présidentielle
: j’en suis à me demander s’il ne devient pas au
contraire, à proportion de sa croissante inconsistance, la meilleure
preuve de la validité du statut qui lui confère, pratiquement
malgré lui, ce qu’il conserve encore d’autorité,
à laquelle même ses plus farouches opposants n’ont
cessé de recourir dans les moments de crise que nous venons de
traverser.
1- L’heure de vérité de la démocratie Il s’agit donc, premièrement,
de satisfaire au maximum raisonnable de probabilité d’une
telle rencontre en commençant par se conformer au principe, qui
est effectivement le nôtre, d’un maximum de liberté
en même temps que de responsabilité des initiatives de
candidature, sans autre souci du degré de démarcation
réelle des différentes options qu’elles proposent,
ni donc du risque de dispersion des voix favorables à une même
option générale sur plusieurs concurrentes : ce genre
d’appréciation ne revient, en dernière instance,
qu’à l’ensemble des électeurs, et selon des
critères ne relevant, là encore, que de la liberté
de chacun. Encore ne serait-ce qu’un
correctif qui ne résoudrait pas, quel qu’en fût le
gain, le seul vrai problème : plus abondantes sont les options,
plus leur est difficile de se développer, non seulement selon
leurs positivités respectives, mais chacune à l’épreuve
de toutes les autres et, mieux encore, de chaque autre et dans un ordre
qui n’en favorise aucune, sans compter la difficulté pour
chaque électeur d’apprécier, dans ces conditions,
la mesure dans laquelle chacun des candidats satisfait bien, tout au
long de ses confrontations, au principe logique élémentaire
de ne jamais se contredire en en contredisant aucun autre. C’est
pourquoi tous les systèmes de vote par classement consistent
à renvoyer à l’électeur la charge de ce travail
d’information, d’explicitation et de confrontation qu’il
revient à l’initiative des candidats de soutenir et d’alimenter
à proportion de leurs capacités respectives de diffusion
et de mobilisation. Reste qu’il y manque toujours l’épreuve
du débat démocratique, non seulement d’idées,
à portée de purs esprits, mais bien d’homme à
homme et à l’adresse de tout un peuple assemblé,
un débat où s’évalue à quel degré
d’authenticité quel homme est capable de porter, audiblement
à tous, quelle idée, le débat dont il n’y
a que l’élection présidentielle directe qui ouvre
la possibilité. C’est là le moment
démocratique par excellence. Même dans une agglomération
de moins de 50 000 citoyens, telle que l’Athènes du Vème
siècle, la démocratie n’est pas un régime
où chacun serait Périclès, vingt-quatre heures
sur vingt-quatre et trois cent soixante cinq jours par an (tant qu’à
cultiver l’anachronisme, autant nous en tenir à notre calendrier).
C’est tout de même un régime où Périclès
permet à Phidias de s’occuper d’autre chose que de
politique ou des "affaires de la cité" –grâce
à quoi, du reste, nous avons une idée de la tête
de Périclès. Et tant mieux, entre autres parce qu’il
se trouve que, tout en étant vraiment un démocrate, ce
n’était vraiment pas n’importe qui, de sorte qu’on
m’estimera peut-être futile, mais je suis plutôt content
de savoir à quoi il ressemblait. Et je ne parle pas de Sophocle,
d’Euripide, etc., etc. (et là, il ne s’agit plus
seulement de leur tête, mais surtout de ce qui en est sorti !).
2- A l’aune d’une conception héroïque de l’idéal républicain Le problème est seulement, pour une démocratie de la dimension de la nôtre, de se ménager les conditions d’accès et d’exercice du pouvoir les plus favorables à l’émergence de la liberté qui en sera la plus digne. L’impersonnalité constitutive du vote, ou son anonymat, n’implique nulle dépersonnalisation de l’autorité qui doit en émaner : quelle triste, insipide, paralytique et inhumaine démocratie que celle d’une telle démonocratie du ressentiment à l’égard de tout ce qui se distingue et, en général, de toute espèce de force, voire de toute supériorité, qu’elle soit intellectuelle, morale, politique militaire, judiciaire, etc. On ne sert pourtant pas davantage les plus faibles en se désarmant, non plus qu’on ne soigne un malade en s’inoculant son virus (je veux dire qu’à tout prendre, il est tout de même préférable que ce soit un bon nageur qui plonge pour sauver l’enfant de la noyade, s’il s’en trouve un). Mais le souci des plus faibles n’entre pas pour beaucoup dans cette aversion instinctive à reconnaître quelque force et quelque autorité que ce soit. Sinon diluées dans l’irresponsabilité d’une masse cotonneuse indistincte, justement caractéristique des totalitarismes dont on ne cesse de nous brandir l’épouvantail. Et avec plus de raison qu’on ne pense, d’autant plus que toujours à contresens. « De toutes les matières,
nous serinent europouistes et supranationonistes confondus, c’est
la ouate que je préfère ». On n’empêchera
jamais cette fascination de la ouate, chez les ouon-ouons. Elle signifie
seulement que la démocratie, elle aussi, elle surtout, a besoin
de héros qui l’arrachent à son éternelle
tentation du coton, de la filasse et, à terme, du fulmicoton.
Et on sent bien que ce qui les enfulmine déjà, nos ultra-pseudo-démo,
c’est justement cette seule idée du héros, de la
moindre tête qui dépasse. Mais l’idéal de la
démocratie et de l’égalité, même des
conditions, c’est-à-dire de ce que j’appelle République,
je ne le trouve pas, quant à moi, dans un tel minable ramassis
mortifère de moutons envieux que tyrannise déjà
la peur de la tyrannie. La République est héroïque,
ne le sait-on pas ? Comment ne le serait-elle pas, étant donné
ce qu’elle veut ! Elle l’est tellement qu’elle se
reconnaît ses propres héros, les manuels de la IIIème
en témoignent, jusqu’en amont de la royauté incluse
: Vercingétorix ou Jeanne d’Arc, autant que ceux de la
Révolution et à suivre. Et à ce point juste pour
leur seul héroïsme que c’en est à se demander
si elle ne les admire pas davantage, si elle ne les préfère
pas encore vaincus que dans la victoire. Vaincus et donc vains.
Entendons-nous bien, je ne jette
la pierre à personne (ils seraient fichus de me la rapporter
!). Je ne dis pas que ce n’était pas le mieux à
faire, la situation étant ce qu’elle était. C’est
qu’elle puisse l’être qu’il faut empêcher
: je demande un troisième larron, à ce deuxième
tour, et donc un troisième tour. a- Nécessité de trois candidats au deuxième tour Pourquoi seulement trois au deuxième,
et non pas quatre ou davantage ? D’abord parce que je veux les
voir chacun au moins une fois seul à seul face à chacun
des autres, ce qui implique déjà six débats pour
quatre candidats (dix pour cinq, et quinze pour six !), le nombre de
trois candidats étant donc le seul qui limite au leur celui de
leurs débats. Et encore faut-il corriger le déséquilibre
induit, lors du deuxième débat, de ce que l’un en
soit au deuxième et l’autre à son premier, en ménageant
une quatrième confrontation à trois où chacun puisse
en être à son troisième et ainsi en situation de
répondre, à chacun des deux autres, de la cohérence
de sa double opposition à l’un et à l’autre.
b- Nécessité d’un troisième tour Mais il faut aller jusqu’au
bout de cette logique : des trois candidatures en présence, il
est naturel que ce soit la plus extrémiste qui ait le moins de
mal à se démarquer des deux autres, surtout si elles représentent
l’une et l’autre deux tendances appartenant à une
même orientation générale opposée à
la première. Il est donc hors de question que celle-ci puisse
tirer avantage d’une division des voix de l’orientation
éventuellement majoritaire pour l’emporter par une majorité
simplement relative, comme ce pourrait être le cas si l’on
en restait à une élection à deux tours. Il est
par conséquent nécessaire de prévoir un troisième
tour où ne soient retenus que les deux premiers du précédent.
c- Réponse élégante à une futile objection technique Il est vrai qu’on sous-estime
toujours la capacité de mépris, de cynisme ou de mauvaise
foi qui n’a cessé d’être celle des ennemis
de la démocratie. C’est pourquoi je voudrais un instant
m’amuser à prendre au sérieux l’objection
qu’ils ne manqueraient pas d’adresser à cette proposition
de réforme du scrutin de l’élection présidentielle
directe si elle parvenait jamais jusqu’à la hauteur de
leurs sphères : très prosaïquement le coût
de l’opération. Deux tours passe encore (quoique j’aie
entendu s’offusquer une autorité journalistique de ce que
nous soyons, m’a-t-elle appris, la risée de toute l’Europe,
« étant les seuls en Europe…» – toujours
la fameuse flétrissure : ils ont l’esprit si bas qu’ils
n’imaginent même pas combien nous flatterait que ce fût
seulement vrai ! – à devoir attendre quatre tours, en comptant
les législatives, avant de savoir qui nous dirigera…),
mais un troisième…bonjour les dégâts, et d’abord,
donc, matériels ! Je suggère donc, après
beaucoup d’autres –et dès avant le 21 avril 2002–
une élection présidentielle directe à trois tours
et, plus précisément, dont le premier soit aussi ouvert
que possible, éventuellement traitable par la pondération
de Borda, le deuxième, à trois candidats et le troisième,
inéludable, y compris en cas de majorité absolue de l’un
des trois au deuxième.
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Face au déni de droit que représente l’entêtement du Parlement européen à refuser, après le Conseil européen (cf. texte V), le rejet du TCE par la France et la Hollande, pour nous, simples citoyens, deux réactions s’imposent. La première, c’est
de nous mobiliser, lors des prochaines élections européennes,
pour ne voter qu’en faveur des listes présentées,
soit par les seuls partis dont nos députés se sont opposés
à la décision du 19 janvier, c’est-à-dire
le parti communiste, si on est de gauche ou si on refuse de voter de
Villiers ou Le Pen, ou de Villiers si on n’est pas un électeur
du Front National, soit pour une liste qui se serait expressément
constituée sur le principe de la caducité du TCE –en
sachant que ce mouvement a toutes les chances de s’étendre
à l’ensemble des peuples européens. Mais le signe le plus fort que nous puissions adresser à l’ensemble des institutions européennes contre leur commune prétention à une ratification forcée de ce texte, c’est précisément notre Constitution qui nous le permet, en nous dotant du droit d’élire notre Président au suffrage universel direct. Il faut que nous soyons bien conscients que toutes les élites européistes sont suspendues à notre échéance de 2007, dans l’espoir avoué que l’ordre de nos priorités nationales et une certaine réputée indifférence aux questions européennes conduiront les Français à l’inconséquence d’élire un chef d’Etat qui serait disposé, comme a déclaré l’être, lors de ces débats, Nicolas Sarkozy, à passer par la seule Assemblée Nationale pour adopter la part proprement institutionnelle du Traité, toute sa partie économique n’ayant pas à être mise en cause puisqu’elle fait déjà l’objet de traités antérieurs (C’est donc à la fois présumer que nous ne nous serions opposés qu’à celle-ci, tout en la maintenant et en nous retirant tout de même le droit, pour plus de précaution, de nous prononcer spécifiquement sur le reste ! Voilà qui éclaire d’un jour assez cru l’idée sarkozienne de la démocratie et du suffrage populaire). Notre seconde réaction doit donc être de n’élire à la Présidence qu’un candidat qui se sera engagé, en termes explicites, à refuser de contourner d’aucune façon la décision référendaire du 29 mai, c’est-à-dire à se conformer à l’alternative qu’elle ouvre : soit de renoncer à une Constitution européenne, soit d’accepter que le projet qui nous en a été présenté cesse enfin de l’être comme le nec plus ultra du possible, une perfection non moins surnaturellement incorrigible que les Tables de la loi mosaïque et cela, comble du grotesque, alors même que certains de ceux qui ont eu à y travailler ont le bon sens et le minimum de décence ou de lucidité de le reconnaître, dès à présent, modifiable et améliorable, comme toute œuvre d’origine, malgré tout, humaine. Il faut mettre un terme à
cette prétention bouffonne de nous faire croire qu’on ne
saurait en déplacer une virgule (sic : Isabelle Bourgeois, entendue
le 23 janvier sur I-télé) sans en bouleverser la signification
de fond en comble, tout cela s’appuyant sur l’argument d’autorité
que ce serait l’infiniment improbable compromis de vingt-cinq
points de vue en tout divergents : ou bien c’est le cas, et il
est nécessairement suspect, ou bien il serait nettement moins
improbable si on voulait bien s’en tenir aux lignes de convergence
et prendre une fois pour toutes en compte la diversité des libertés
nationales en jeu, comme je le suggère dans le texte précédent. C’est pourquoi le plus simple
et le plus sûr, c’est, en définitive, de voter pour
un candidat qui se sera clairement prononcé, en s’en expliquant,
à la fois pour un oui à l’Europe et un non à
cette Constitution et dont nul ne puisse douter que ce non procède,
en effet, d’un oui qu’atteste son engagement européen.
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Le 19 janvier, le Parlement européen a donc adopté, par 385 voix contre 125 et 51 abstentions, un rapport appelant à l’entrée en vigueur, dès 2009, de ce même projet de traité entre vingt-cinq Etats européens, lequel prétendait établir « une Constitution pour l’Europe », dont les termes ont été refusés par les peuples de France et de Hollande, c’est-à-dire de la première et de l’une des six premières nations initiatrices de l’Union européenne. Un traité, quand il ne s’agit pas d’un ouvrage de métaphysique ou de botanique, est un contrat passé entre plusieurs Etats souverains. Pour qu’un tel contrat existe, il faut que chacun des Etats contractants ait accepté les termes du contrat. Antérieurement à cette acceptation, et quelles que soient les modalités de sa décision pour chacun des Etats, le contrat n’a pas d’autre existence que celle d’un « projet de traité ». Imaginons, issues de 40 peuples,
40 000 personnes sélectionnées comme on voudra, parmi
les plus compétentes en matière de droit international
en même temps que dans tous les domaines auxquels s’appliquerait,
pour ces 40 peuples, le projet en question. Imaginons que soit confiée
à ces 40 000 personnes la charge de concevoir et de rédiger
un tel projet de traité. Imaginons que, pour préparer
ce travail, pendant une durée à déterminer, chacune
de ces 40 000 personnes soit isolée, dans une petite cellule,
des 39 999 autres. Imaginons qu’au terme de cette préparation,
elles se réunissent pour confronter leurs textes respectifs et
qu’elles constatent, avec stupéfaction, qu’elles
sont toutes parvenues, à la lettre près, au même
résultat. On appelle la Bible des Septante, une traduction (une simple traduction !) de la Bible de l’hébreu en grec, effectuée, selon une certaine tradition, par 70 rabbins (seulement 70!) dans les conditions miraculeuses que je viens de décrire. La traduction des Septante fait autorité : elle n’a pour autant jamais interdit, que je sache, selon aucune tradition, de reprendre l’aller-retour du grec à l’hébreu pour tenter un progrès dans l’intelligibilité de l’original. Elle n’a jamais prétendu, si j’ose dire, s’auto-sacraliser, en fermant définitivement la porte derrière elle. Et encore n’avait-elle pas pour objet de recueillir l’approbation de qui que ce soit d’autre que de chacun des 70 rabbins convoqués. Dans le cas qui nous intéresse,
il ne s’agit pas de n’importe quel traité, mais d’un
traité qui prétend établir « une Constitution
pour l’Europe ». C’est d’une part un traité,
puisqu’il doit se contracter entre des Etats, et pour la plupart
déjà dotés d’une Constitution ; mais puisque,
d’autre part, il établit une Constitution commune à
ces Etats, il suppose qu’en acceptant ce traité, chacun
de ces Etats consente à modifier le type de rapports entre eux
qui leur permet encore de contracter ensemble des traités. Ce
qui n’est pas rien –et reste à clarifier. Maintenant, que cette Constitution
se veuille supranationale, tout en multipliant fausses portes et fausses
fenêtres exclusivement destinées à créer
l’illusion contraire, la preuve la plus éclatante vient
de nous en être administrée par ce Parlement européen
dont les ouistes nous vantaient naguère l’extension des
compétences : il ne considère plus le « Traité
établissant une Constitution pour l’Europe » comme
un traité, c’est-à-dire entre les Etats qu’il
aurait pour fonction d’unir, mais directement comme un projet
de Constitution valant pour un seul et même peuple européen
qui lui serait déjà majoritairement favorable, avec une
écrasée minorité de deux contre, ce que l’on
pourrait confirmer –après la vaste campagne d’intox
très expressément programmée par le Conseil européen
en juin 2005 et détaillée, en cette mi-janvier, par le
Parlement– grâce à l’organisation d’un
référendum commun à l’ensemble des Etats
concernés dont la majorité serait décisive, sans
distinction de nationalité. Nous avons là un stupéfiant
exemple de dévoiement de ce corps intermédiaire qu’est
un Parlement, qui finit par ne plus voir la réalité
qu’il est supposé représenter qu’à
travers le prisme de son propre corporatisme, en toute ignorance des
principes les plus élémentaires du droit et dans une inconscience
de son délire proportionnelle à l’ampleur du nombre
de ses membres et des majorités qui peuvent s’en dégager.
De fait, nous venons d’assister
à un phénomène connu, plus commun qu’on ne
l’imagine, en particulier, semble-t-il, dans certaines apparitions
de vierges consécutives à un conditionnement de masse
de populations de provenances plus ou moins lointaines, assemblées
par le commun espoir de ne pas s’être déplacées
en vain : celui de l’hallucination collective. |
Je viens de lire, dans L’Express du 17 novembre, le très remarquable entretien de Denis Jeambar avec un Sarkozy qui ne ressemble en rien à celui dont j’analyse l’action dans les lignes qui précèdent. Je ne demande pas mieux que de
croire à cet autoportrait d’ultrarépublicain, "national"
au sens gaullien et intégrateur "à la française",
plutôt qu’à ma vision du désintégrateur
méthodique, pompier au lance-flamme, qui n’a que la France
à perdre au bénéfice d’une mondialisation
à l’américaine. Je préfère, comme
tout le monde, les meilleures intentions aux pires –et je peux
même ajouter qu’un politique, pour moi, se juge d’abord
aux principes dont il se réclame et aux aspirations qu’il
s’efforce de mobiliser avant toute action, donc dans le discours.
Je comprendrais d’ailleurs mal qu’on en appelle à
des "hommes neufs", sans accepter par là même
de devoir commencer par se fier à ce qu’ils disent et par
les évaluer sur cette seule matière. Quand j’entends, par exemple, Montebourg m’assurer que tous les Français sont aussi compétents que n’importe lequel d’entre eux pour discerner les meilleurs moyens à mettre en œuvre en vue d’une fin déterminée, je réalise immédiatement qu’il fonde l’égalité des voix sur celle présumée des compétences, qu’il identifie le vote à l’expression d’une intelligence portant sur des moyens, et non pas distinctement d’une volonté, ou plutôt même, comme son nom l’indique, d’un vœu, portant sur des fins auxquelles devront ensuite s’adapter les moyens les plus efficaces avec ce que suppose une telle adaptation d’intelligence, de formation, d’information et surtout d’investissement d’énergie et de temps, qu’à partir de cette confusion entre l’ordre des fins et celui des moyens, il n’y a rien d’étonnant à ce qu’il ne perçoive aucune raison ni aucun avantage à un exécutif, selon lui, bicéphale, ni même de différence de fonction significative entre ses deux "têtes" – ce qui en fait une de trop, problème qu’on prévoit de résoudre en réduisant la réputée plus forte au plus d’insignifiance – et qu’il est, en toute occurrence, dangereux d’accorder sa confiance à quelqu’un qui vous laisse entendre que vous êtes aussi bon économiste, après tout, que Barre ou Peyrelevade : bref, je vois d’un coup à qui j’ai affaire. Et sans avoir pour autant à trancher sur la part d’irréflexion ou de démagogie matoise qui commande sa rhétorique. A l’inverse, même dans l’hypothèse où ils seraient entièrement frauduleux, les propos de Sarkozy à Denis Jeambar suffisent, à eux seuls, à me prouver, chez lui, une intelligence de l’idée de République et au moins une compréhension de la hauteur de ce qui peut mobiliser ceux sur lesquels il choisit de compter, y compris quant à ce qu’il appelle maintenant «discrimination positive à la française», parlant d’une égalisation réelle des chances, à l’estime de quoi je serais prêt à me laisser convaincre, si j’avais à choisir entre un sixièmiste et lui, de voter pour lui et ce, alors même que je ne me suis jamais reconnu autant à gauche qu’aujourd’hui. Et nonobstant, pour cette simple raison que je place la République au-dessus encore de ce qu’on me présente comme le clivage droite-gauche. Et particulièrement la Vème du nom dont le caractère tant critiqué d’exceptionnalité en Europe et dans le monde se trouve très énigmatiquement coïncider avec l’égale exception, en dépit de la politique du parti "socialiste" au pouvoir, d’une société plus attachée que n’importe quelle autre à son idéal social et à ce qu’elle réussit, malgré tout, c’est-à-dire malgré la mondialisation de ce monde, à en incarner. Ce qui devrait peut-être porter nos re-constitutionnalistes en herbe à un peu plus de prudence et, par ailleurs, de pondération dans leurs indignations de circonstance. Et je pense être en cela,
malheureusement pour la "gauche", représentatif d’une
large fraction de son électorat potentiel, de plus en plus vertigineusement
éloigné de ses militants, comme chacun le sait, et par
conséquent de moins en moins "potentiel". Et je dis
"malheureusement", pas seulement pour « la gauche »,
mais d’abord pour moi, c’est-à-dire pour la mienne
! Parce qu’enfin le problème, c’est qu’il ne
s’agira pas seulement de choisir un politique, mais aussi
tout de même un peu une politique. Or si Montebourg est
un homme "neuf" (certainement davantage que ses idées),
c’est assez loin d’être le cas du politique-dont-on-parle.
En attendant, le Sarko-Express
aura beaucoup de mal à nous occulter le Sarko-Kärcher. Et
à moins qu’il ne soit de la mythique tribu des «
Indiens contraires », peut-être faudrait-il, avant qu’on
ne l’arrête pour trouble à l’ordre public,
lui signaler qu’il a enfourché sa monture à l’envers.
P.S : Dans l’avant-dernière de ses questions, qui sont d’ailleurs plutôt des mises en question, et si pertinentes que toute l’habileté rhétorique de son interlocuteur ne suffit pas, malgré l’avantage du dernier mot, à en effacer l’impact, Denis Jeambar (que je confesse découvrir à cette occasion) se réfère à une analyse d’Emmanuel Todd (à laquelle on peut rapidement accéder ici) qui, à mes yeux, confirme, avec beaucoup plus d’autorité, de conséquence et de données que mon texte, la position que j’y soutiens sur la nature et le sens de l’inflammation des cités. |
Il faut pardonner à ma désolation de se chercher des consolations où elle peut : mais celle-ci n’est pas des moindres, d’avoir vu, dans les flammes du brasier laborieusement allumé, entretenu et attisé par le dodelinant promu hors-la-loi vice-premier ministre dit de l’intérieur, leur allié commun, se réconcilier les croisés d’Outre-Atlantique-Manche et les infidèles islamisants de l’autre des extrêmes qui se touchent pour nous détecter, de derrière leurs verres fumeux, un même décryptage de ce qui nous arrive, une même démonstration de l’inadaptabilité définitive du modèle social français et, en particulier, d’"intégration à la française". Je ne m’étendrai
pas sur le processus fort peu énigmatique de la précoce
dramatisation du phénomène à l’échelle
internationale ni sur l’autorité de la source de renseignements
à laquelle ont pu se fier, dès le 3 novembre, un commentateur
de CNN pour évoquer le couvre-feu et la mobilisation de l’armée
plus de trois jours avant l’annonce officielle de l’état
d’urgence par Villepin, puis, le lendemain, 4 novembre, le département
d’Etat conjointement à l’ambassade des Etats-Unis
ainsi que l’ensemble des autres pays dont la France est parmi
les premières destinations touristiques, pour avertir leurs populations
respectives de renoncer – à leur grand dam ! – à
toute incursion dans ces hauts lieux du patrimoine de la culture internationale
que passent pour être nos fameuses "barres" monumentales
de banlieues, leurs fresques polychromes, leurs pittoresques animations
pyrotechniques nocturnes, la toujours imprévisible créativité
de leur living theater, etc., etc. Je ne suis pas un obsédé
de la grosse magouille mondialisante, plus ou moins télécommandée
par la nébuleuse ex-Trilatérale, ses énormes capitaux
(quoique très parcimonieusement consentis) et son fantasme quasi
séculaire de gouvernance planétaire post-démocratique.
S’y révèle surtout, de la part de ses instances,
plus d’intérêt que n’en portent les Français
eux-mêmes à la califabilité-à-la-place-du-calife
de Nico dit le Nettoyeur ou le nouveau Vizir, la lessive au Kärcher,
c’est-à-dire à sa capacité à satisfaire
au premier des critères d’un candidat finançable
: être à même de conduire une politique anti-nationale
avec le soutien de la nation. Ce qui est en effet visé
ici, par le très populaire vizir matamore hystérisant,
c’est bien, comme nous le confirment ses marionnettistes, le modèle
social français, il ne s’en est jamais caché, mais
cette fois au cœur même de la cible, justement l’intégration
républicaine à la française, et encore plus
précisément, touchant plus directement à la spécificité
nationale de ce modèle, c’est-à-dire à l’absurde
exception culturelle que constitue la France comme ultime obstacle
à l’expansionnisme anglo-saxon de la Paneuramérican-express,
le principe républicain de la laïcité auquel se veut
subordonné notre processus d’intégration et dont
la kärchérisation est devenue l’un des objectifs obsessionnels
de son vaste programme de destruction. Doit-on rappeler que les banlieues
n’ont pas attendu le 27 octobre pour entrer en état de
crise ? Et que si l’on parle de la gestion de cette crise par
l’actuel gesticulateur de l’Intérieur, il conviendrait
de commencer par dénoncer sa politique d’aggravation
méthodique de la situation, d’abord en détruisant
le dispositif de prévention mis en place par Jean-Pierre Chevènement
: Mais ce n’est pas tout :
chacun garde en mémoire la promulgation (toujours pour la plus
grande satisfaction de l’opinion publique) de tout un arsenal
d’interdictions inapplicables dont l’inconséquence
n’était que de discréditer encore un peu plus la
police et la loi en criminalisant ce qu’on n’avait aucun
moyen de réprimer, tout en augmentant le sentiment d’illégalité
usuelle des comportements et en réduisant à une esbroufe
grotesque le théoriquement concevable principe de la "tolérance
zéro", américanisme non moins, déjà,
provocateur où l’on comptait surtout bien faire entendre
que, désormais, ce serait l’intolérance absolue
la vertu suprême et les "quartiers", des ghettos. Je n’ai pas grandi dans
une cité, loin s’en faut, mais je n’ai pas besoin
de beaucoup d’imagination pour me douter que, même dans
une cité, on est capable d’entendre la différence
de registre sur lequel s’exprime un responsable politique dans
une rue de Clichy-sous-bois et à l’écran, quand
il explique, sans le redire, devant Arlette Chabot, ce qu’il a
dit à Clichy-sous-bois. Et que si on me parle en racaille, c’est
qu’on me prend, moi aussi, pour de la racaille. Il s’en est pourtant donné du mal, depuis un certain temps, pour imprimer une orientation communautariste à la révolte qu’il a suscitée : ces providentielles grenades lacrymogènes, dès le deuxième jour d’émeutes, juste à la porte d’un lieu de prière musulman, dont il faut attendre plus d’une semaine pour apprendre qu’elles ne sont pas entrées à l’intérieur et qu’il n’y a plus à se demander d’où elles ont pu tomber quand il suffit de montrer où, à supposer qu’il y ait eu besoin d’autant de temps, c’était donc si difficile, entre-temps, d’en présenter des excuses conditionnelles ? Notre illusionniste expert en communication démago aurait donc perdu, pour l’occasion, le sens de l’efficacité du verbe ? Et la référence claironnée à la loi du 3 avril 1955 pour justifier la proclamation solennelle d’un état d’urgence dont on s’est dispensé en mai 68, en outre inutile à l’application d’un couvre-feu en usage l’été à Orléans depuis 2001, mais qui nous renvoie surtout opportunément à la guerre d’Algérie et au vécu des parents et grands-parents des émeutiers ciblés de la communauté musulmane magrhebine, qui en est l’inspirateur, sous menace éventuelle de démission ? Et qui, le bouillant orateur apostrophant à l’Assemblée, dans les heures qui suivent, le Premier ministre en personne, pour lui annoncer que « oui, Monsieur le Premier ministre » –histoire qu’on se dise bien que c’est lui qui l’impose au gouvernement–, même les étrangers en situation régulière ayant fait l’objet d’une condamnation seraient reconduits chez eux, au bon plaisir de Son Omnipotence hystérissime, capable de rétablir selon son caprice l’illégalité de la double peine avec autant de facilité qu’il l’avait supprimée ? Ce qu’il ne fera pas, bien
entendu, sinon dans les limites strictement précisées
par la loi en vigueur. C’est encore de la pure provocation verbale.
Mais ne nous y trompons pas :
son rêve euraméricain n’a pas plus à voir
avec le triomphe de la race blanche façon Ku Klux Klan qu’avec
l’exaltation d’une France black-blanc-beur : il ne cherche
qu’à introduire, dans la société française,
une mondialisation à l’anglo-saxonne par le biais de
revendications communautaristes à la fois ethniques, religieuses
et culturelles qu’il fait tout pour favoriser, parce qu’il
en escompte l’éclatement de la notion républicaine
d’intérêt général en une multiplication
d’intérêts particuliers sur le chevauchement desquels
il espère pouvoir surfer, à l’image de cette pseudo-démocratie
américaine dont il se trouve encore des élites, chez nous,
pour cultiver, parfois même en toute naïveté, une
incompréhensible adulation. Et il en attend bien évidemment
surtout la péremption, à terme, de toute idée
d’une collectivité nationale, comme de l’échelle
politique à laquelle peut seulement se concevoir la maîtrise,
par un peuple, de l’orientation de son Histoire. Il n’y a rien qui puisse
cautériser une telle plaie : d’avoir trahi pour perdre.
Elle purule encore de rancœur et de haine, chez nos vieux collabos
: mutatis mutandis, comment imaginer qu’elle aura cicatrisé
en deux ans, chez les Oui "de gauche" au TCE ? Et qu’on
ne m’objecte pas qu’il n’a pas fait de morts : c’était
aussi pour épargner des vies qu’on pouvait choisir la Collaboration.
Et pour cette raison qu’elle aura continué d’être
défendue par ceux qui l’auront choisie. Les seuls criminels
et criminogènes inconséquents étaient à
leurs yeux déjà, si je ne m’abuse, dans le maquis.
C’est dans cette perspective
qu’il faut comprendre la tactique de harcèlement du très
zélé télé-vizir contre le principe de la
laïcité à la française. En jouant le communautarisme
contre la laïcité. En insistant complaisamment (et pour
le coup sans se cacher, dans une émission de grande écoute,
sur la 2, juste avant le périlleux pont du 11 novembre, de complaire,
cette fois, aux électeurs de Le Pen) sur la difficulté
spécifique d’intégration de certaines catégories
d’immigrés (en particulier, sans doute, celle dont on allait
s’occuper d’attaquer, de nouveau, une mosquée). La France des cités réussit
à ne toujours pas céder au formidable travail d’intox
dont elle est la cible mondialisée, elle persiste à ne
rien vouloir d’autre que rappeler la France à elle-même,
aux principes qu’elle en a justement intégrés :
c’est la force de ces principes justement que d’avoir pu
être intégrés dans la plus catastrophique indigence
de toute politique d’intégration. Et cette France qui en
appelle à la France par-delà l’insuffisance et l’indignité
dramatiques d’une majorité de Français, c’est
elle qui atteste aujourd’hui, non pas certes, aucunement, de notre
capacité à l’intégrer, mais de la nécessité
que nous réintégrions notre propre identité, notre
propre Histoire, l’idéal vital et concret qui nous constitue.
C’est aussi ce qui fait
que, pour un laïque républicain, il n’y a ni voyou
ni racaille, surtout quand il parle au nom de l’Etat, il y a des
actes ou des comportements plus ou moins criminels et inadmissibles,
voire inqualifiables, dont les auteurs ne peuvent être jugés
coupables que dans la mesure où ils auraient été
capables de ne pas l’être. Le respect de la laïcité
commence là. Et de la laïcité comme condition du
respect. La répression des fautes
n’est que l’ordinaire de l’Etat de droit. Mais elle
suppose d’abord la présence d’une autorité
publique, et dont la fonction ne se réduise justement pas à
l’intervention répressive ponctuelle. C’est précisément
là, dans le domaine de l’enseignement, que doit s’appliquer
juste l’inverse de ce qu’on entend généralement
par la discrimination positive, qui n’a que l’inconvénient
de rester tout aussi discriminatoire que l’autre, dès lors
qu’elle ne discrimine toujours qu’a posteriori, au lieu
de se donner les moyens d’une véritable indiscriminabilité.
L’école est, en ce
sens, le lieu par excellence de l’exercice des valeurs proprement
républicaines. Et c’est en conformité à son
esprit que les cités doivent devenir l’objet d’une
polarisation prioritaire de l’"Education nationale",
non pas sous la forme caricaturale de zones d’éducation
prioritaire analogues aux services des urgences d’un centre hospitalier,
mais par une véritable réorganisation de la vie de la
cité autour de "pôles d’excellence"
de l’enseignement, expressément destinés à
couvrir l’ensemble d’un cursus complet, de la maternelle
aux études supérieures, c’est-à-dire, progressivement,
incluant des classes préparatoires aux grandes écoles,
aussi bien scientifiques et commerciales que littéraires, comme
autant de défis à l’indigence des conditions matérielles
dans lesquelles exercer l’attraction de cet idéal de formation
et de préparation aux plus hautes fonctions de la société.
On aura bien compris que je ne
préconise pas de laisser les trafiquants à leur trafic
: il faut seulement accepter que certaines libertés se soient
déjà condamnées, nous aient déjà
devancés dans l’engrenage résolu du crime. Ce n’est
pas sur elles qu’on peut compter, même si l’on est
bien obligé de compter avec, mais sur celles qui viennent et
que même les premières, elles aussi, ne peuvent que souhaiter
voir prendre un autre chemin. Je n’imagine pas le pire des criminels
vouloir pour l’enfant qui lui arrive le destin qu’il se
serait, fût-ce le plus librement, choisi. |
On m’a demandé la source de la citation de de Gaulle qui ouvre la conclusion du texte précédent et que je reproduis ci-dessous : « Le marché, Peyrefitte, il a du bon. Il oblige les gens à se dégourdir, il donne une prime aux meilleurs, il encourage à dépasser les autres et à se dépasser soi-même. Mais, en même temps, il fabrique des injustices, il installe des monopoles, il favorise les tricheurs. Alors, ne soyez pas aveugle en face du marché. Il ne faut pas s’imaginer qu’il règlera tout seul les problèmes. Le marché n’est pas au-dessus de la nation et de l’Etat. C’est la nation, c’est l’Etat qui doivent surplomber le marché. Si le marché régnait en maître, ce sont les Américains qui régneraient en maîtres sur lui ; ce sont les multinationales, qui ne sont pas plus multinationales que l’OTAN. Tout ça n’est qu’un simple camouflage de l’hégémonie américaine. Si nous suivions le marché les yeux fermés, nous nous ferions coloniser par les Américains. Nous n’existerions plus, nous Européens ». Je suis heureux que cette question
de la source me soit posée, au moins pour ce qu’elle peut
témoigner d’incrédulité ou de doute sur l’authenticité
du propos –et donc d’abord d’étonnement et,
partant, d’attention : une attention étonnée qui
m’est une quasi garantie de re-lecture ! J’énonce d’abord
le triple paradoxe : en premier lieu, l’incroyable actualité
du propos et que ce soit seulement le débat sur le TCE qui l’ait
mise en évidence dans les motifs, désormais reconnus,
de son rejet ; en second lieu, le fondement, clairement égalitaire,
de l’antilibéralisme de principe ici affirmé par
de Gaulle ; enfin, sa revendication d’une identité européenne
dans la seule perspective de laquelle on observe qu’il faut inscrire
ce qu’on a stupidement appelé son "anti-américanisme"… Archaïsme réactionnaire,
étatisme rigide et nationalisme mégalomaniaque, tous ces
traits s’accordent si parfaitement à nous dessiner une
caricature si cohérente qu’on ne saurait lui contester
d’être plus vraie que nature. N’était-il pas
lui-même une vivante caricature ? Ainsi la fameuse tautologie : «
l’Europe sera européenne…ou elle ne sera pas !
» qui semble déjà bien avoir fait scandale à
l’époque, immédiatement interprétée,
il va sans dire, déjà comme une déclaration anti-européenne.
D’après tous mes témoignages, de fait, à
l’époque déjà, pour ne pas être anti-européen,
il fallait être à la fois hyper-atlantiste, jusqu’à
l’américanolâtrie, et ultra-fédéraliste,
jusqu’à un supranationalisme qui n’avait pas (encore)
peur de son nom. Surtout, il me semble comprendre
la fascination qu’il pouvait exercer sur tous ses interlocuteurs.
Je crois, là aussi contrairement à une opinion reçue,
qu’elle était d’ordre proprement intellectuel : c’est
un esprit (en tout cas, tel qu’il est présenté ici)
d’une fulgurante rapidité. Avec une capacité à
viser droit au cœur de la cible, en particulier à trouver
instantanément le défaut de la cuirasse dans la proposition
la plus complexe et la mieux argumentée, une acuité qui
laisse, la plupart du temps, l’interlocuteur interloqué,
parfois sous le coup d’une formule magique, totalement désarmante
(je préfère ne pas en donner d’exemple, précisément
parce qu’elles ne prennent leur véritable relief que dans
les contextes les plus alambiqués). En même temps, ce sont
justement ces répliques sans réplique où l’on
perçoit le mieux son degré d’écoute. Et sa
surprenante plasticité mentale. Ca devait être, en effet,
assez impressionnant. Ce qui l’est, en tout cas, c’est le
nombre et le niveau, le caractère aussi, de ceux qu’il
a impressionnés. Ce qui est sûr, quand on
lit le témoignage de Peyrefitte, c’est qu’on est
obligé de se dire que, dans l’hypothèse où
il aurait embelli le portrait, ce qu’il y aurait ajouté
de son cru prouverait un talent et un style qu’on ne lui voit
pas dans ce qu’il revendique de sien, ici non plus qu’ailleurs
(car l’auteur fut prolixe). |
C’est la terrible
fécondité des temps de crise que de contraindre à
en revenir aux fondements. C’est ce que je compte montrer, dans le texte qui suit. Je m’attacherai d’abord à
dégager les ressorts cachés (du reste, à peine)
sur lesquels je pense que s’appuie aujourd’hui cette entreprise
( I ). Puis j’examinerai, de front, à quel type de légitimité
elle peut prétendre, institutionnellement ( II ), avant de proposer,
pour en approfondir la critique, mon analyse, positive, de l’organisation
actuelle des pouvoirs ( III ). A partir de quoi je m’efforcerai
de mettre en lumière l’adéquation spécifique
de cette organisation au projet social français, d’abord
tel qu’il s’inscrit dans l’Histoire en cours, c’est-à-dire
aussi à venir ( IV ) et, enfin, quant à ses implications
économiques, en tant que projet, non seulement particulier à
la France, mais ouvert à l’universel, c’est-à-dire
à une certaine idée de l’homme : de l’humanité
de l’homme ( V ). Ce sera ma façon de répondre à
l’exigence de clarification des fondements que demande à
chacun d’entre nous, chacun dans la mesure de ses capacités,
la situation de crise où nous sommes.
A vrai dire, même ceux qui
contestent ouvertement le « modèle français »
se dispensent bien de préciser ce qu’ils entendent au juste
par là, en se contentant de nous marteler que, puisque «
ça ne marche pas », il faut aller « regarder ce qui
marche ailleurs ».
Malheureusement, ce qui le sert
encore davantage, c’est l’effort du PS d’éluder
toute question de fond en se cherchant une majorité interne qui
fasse abstraction de ses divisions sur le TCE, dans une surenchère
(entre libéraux et anti-libéraux) de concessions à
une minorité jusqu’ici toujours ignorée, mais dont
l’intérêt, en la circonstance, est qu’elle
ne se distingue pratiquement que par sa seule revendication institutionnelle
d’un changement de République : une VIème, dont
il faudra qu’on nous explique un peu en détail comment
ne pas l’assimiler à un simple retour amnésique
(à moins qu’il ne soit nostalgique) à la IVème.
Empressons-nous donc, nous exhortent
les purs, de tirer nous aussi profit de la corruption, de la perversion
et de l’anti-constitutionnalisme le plus cynique de l’actuelle
absence de vergogne au pouvoir, pour élever bien haut notre protestation
indignée de ce régime pourri, pour le désigner
lui-même le premier coupable, pour le prétendre lui-même,
dès son principe, « intrinsèquement pervers »
et mieux encore, et du même coup, pour englober dans cette fin
de règne du pire de ses corrupteurs celle de plus d’un
demi-siècle d’« escroquerie gaullo-communiste
», ce sont les propres termes que j’ai entendus, dans ce
contexte précis, de la bouche d’un certain Jean-Luc Mano,
le 16 juillet, sur I-Télé, à l’occasion d’un
"best of" de l’émission « N’ayons
pas peur des mots », et l’« escroquerie »
en question, c’était d’avoir voulu nous faire croire
à une « France de résistants ».
Je voudrais, là-dessus,
tenter une première clarification, de principe, et qui suppose
de remonter jusqu'à la définition même de la démocratie,
ou plutôt de la République, telle qu'elle est rappelée
dès l'art. 2 de la Constitution de 1958 : « gouvernement
du peuple, par le peuple et pour le peuple ».
a- le pouvoir du peuple dans ses trois fonctions : présidentielle, gouvernementale et parlementaire Le suffrage n’est rien sans
le débat qui doit le précéder, seul à fonder
la légitimité démocratique de la majorité
qui s’en dégage et donc, dans une élection, la représentativité
de l’élu. Mais cette représentativité est
en même temps proportionnelle à l’extension du suffrage,
ce qui implique, à mes yeux, l’élection du chef
de l’Etat au suffrage universel en tant qu’il représente
l’ensemble de la nation et qu’il est élu sur un programme
qui en détermine l’orientation politique pour une durée
au moins égale à celle de son mandat. b- l’importance du scrutin majoritaire dans la délégation par le peuple de son pouvoir au Parlement On voit ici l’importance
du scrutin majoritaire plutôt que de la proportionnelle dans l’élection
des députés qui la composent : non seulement c’est
celui qui permet, de l’électeur à l’élu,
l’élection la plus directe, c’est-à-dire la
plus conforme à l’idéal de la démocratie
directe, mais pour cette raison même, c’est aussi celui
qui exprime le mieux la responsabilité prioritaire de l’élu
devant ses électeurs, avant l’éventuelle organisation
politique ou le parti dont il a reçu l’investiture et qui
indique son orientation politique, ce qui veut dire que c’est,
en droit, le mode électoral qui laisse l’élu le
plus libre de son jugement face au gouvernement, aussi bien quant à
la fin qu’il poursuit que quant à l’adéquation
des moyens qu’il met en œuvre, pour y parvenir, dans son
adaptation à une conjoncture imprévue ; c’est donc
aussi le mode le plus conforme à cette fonction parlementaire.
c- fondement du droit de dissolution de l’Assemblée Nationale par le pouvoir présidentiel Maintenant, lorsque le Parlement
"censure" le gouvernement, il peut avoir deux raisons de le
faire : soit qu’il juge les moyens mis en œuvre inadaptés,
voire contradictoires, à une fin dont il reconnaît la légitimité,
soit qu’il estime cette fin elle-même désormais inadaptée
à la situation nouvelle qui lui impose de se prononcer.
Plaçons-nous, en effet,
dans l’hypothèse la plus improbable, où tous les
citoyens jouiraient de moyens matériels et immatériels
strictement égaux : le libre usage de ces moyens par chacun suffirait,
à lui seul, à produire entre eux une situation d’inégalité
au moins matérielle. Ici, l’égalité apparaît
comme un principe statique, la liberté, dynamique, l’un
et l’autre mutuellement opposables.
A présent,
je le demande : qui ne serait disposé à sacrifier une
part plus ou moins extensible d’on ne sait trop quel idéal
de liberté à ce programme de prospérité
au nom duquel nos constitutionnalistes européens nous proposaient
de nous assujettir à la puissance exemplairement démocratique
des Etats-Unis d’Amérique ?
En ce sens, le partage du travail n’est pas une simple solution socialiste à un problème conjoncturel de chômage : c’est une traduction matérielle du principe républicain de ce que j’ai appelé l’implication mutuelle de la liberté et de l’égalité, qui donne son sens le plus concret au troisième impératif de la devise de la République, puisque c’est la fraternité du partage qui constitue le principe dynamique de cette mise en rapport des deux premiers. Le travail n’est pas ici simplement regardé comme la source d’une richesse dont le travailleur ne serait qu’un instrument (éventuellement moins intelligent qu’une machine), il est en lui-même d’abord une richesse, une expression spécifique de l’humanité de l’homme et de sa liberté à laquelle, donc, tout homme doit avoir part, sous quelque forme que ce soit, pour le plus grand bien de tous les hommes. a- le droit au travail et l’indemnisation du chômage C’est pourquoi, dans sa
conception républicaine, la reconnaissance du travail comme d’un
droit n’est pas seulement celle d’une aptitude a priori
de chacun à travailler qui interdirait de présumer qui
que ce soit incapable d’aucun travail, ce n’est pas seulement
la reconnaissance d’un droit subjectif, le droit reconnu à
chaque sujet de travailler, sous cette réserve implicite que
le lui permette la quantité de travail objectivement disponible
: le fameux « droit de travailler » que proposait le projet
de Constitution européenne, une sorte de droit d’exister
en tant qu’agent potentiel de l’accroissement de la richesse
dans le monde. C’est le travail qui est lui-même un droit.
C’est d’avoir un travail à exercer. b- niaiseries de la « récompense au mérite » et de la « culture du résultat » Le travail de chacun est donc
essentiellement l’affaire de tous. Il ne s’agit pas seulement
là d’un principe normatif républicain : c’est
d’abord la reconnaissance de cette réalité de fait
qu’il n’y a pas de travail qui ne serait qu’individuel
et dont le fruit ne serait dû qu’au mérite propre
de son agent immédiat. Ce sont justement les inventeurs et les
créateurs qui le savent le mieux, qui sont les plus conscients
de ce qu’ils doivent à ceux qui les ont « préparés
». c- la solidarité dans le travail La culture (entendez le culte,
l’absolutisation) du résultat, c’est une périphrase
pour l’arrivisme, l’obsession de l’arrivée,
« d’y être arrivé », dans une impatience,
une immédiateté exclusive de toute médiation. Cette
ignorance de la médiation, du temps de travail socialement nécessaire
à tout résultat, ou plutôt (car l’étymologie
du mot même de "résultat" indique justement un
saut, la soudaineté d’un bond qui pourrait bien avoir "sauté"
l’essentiel, d’où le caractère purement factuel,
éventuellement factice, voire fortuit du résultat) ce
refus du temps de travail socialement nécessaire à tout
accomplissement, y compris le plus individuel, voilà la tentation
anti-républicaine par excellence (à laquelle s’adapte
si bien le raccourcissement du mandat présidentiel de 7 à
5 ans).
Si le travail était donc
le fondement d’un droit de propriété, il ne le serait
à mes yeux que d’une propriété collective
et pour une collectivité aux limites incirconscriptibles où
se dissoudrait l’idée même de propriété.
Car la concurrence promue par
ce projet pseudo-européen est en réalité une concurrence
faussée au profit de l’entreprise privée, y compris
en charge de mission de service public, et c’est au nom même
du principe qu’il énonce d’une concurrence libre
et non faussée qu’il était déjà nécessaire
de le refuser : non seulement l’interdiction de toute harmonisation
fiscale entre différents Etats fausse la concurrence entre leurs
entreprises respectives, puisqu’il leur est ainsi interdit de
travailler au même coût social de production, mais il s’ensuit
que la concurrence dont il s’agit ne peut plus directement s’établir
entre les produits des entreprises, mais d’abord entre leurs fiscalités
respectives, tendant ainsi à une réduction du coût
du travail par la réduction de l’impôt qui est la
source même de la richesse publique et de sa redistribution (dès
le prélèvement de l’impôt, par sa proportionnalisation
au revenu imposé).
Et il n’y va pas seulement
du droit de propriété, mais du sens nouveau que donne
la République à la jouissance de la propriété.
« Tout de même,
l’économie de marché, on n’a jamais rien trouvé
de meilleur » disait Alain Peyrefitte à de Gaulle (à
l’issue du Conseil des ministres du 12 décembre 1962).
NOTE : Je ne vois personne, depuis que je me
suis engagé dans ce combat, dont il pouvait m'être plus
douloureux de me séparer, à peine rencontré, que
ce héros que demeure, à mes yeux, Etienne Chouard. En
particulier dans mes développements sur son parlementarisme à
la sauce RIP/RIC.
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Si je choisis de
m’adresser aux militants trotskistes plutôt qu’à
ceux du PCF qui m’ont prouvé assez d’ouverture pour
accueillir favorablement ma contribution à la campagne référendaire
en lui consacrant un article on ne peut plus bienveillant dans les colonnes
de L’Humanité,
c’est parce qu’à la réflexion, je ne vois
guère que les premiers dont il me paraisse parfaitement cohérent
de supposer que viennent les malentendus concernant le sens de mes commentaires
(et auxquels j’ai déjà été répondre)
sur le site Bellaciao
où a été mis en ligne l’abrégé
de la présente page « Et maintenant ? » (que m’avait
demandé Newropeans
Magazine).
L’intérêt de
mon point de vue sur la question tient peut-être surtout à
la trivialité, a priori, de mon rapport au trotskisme, une trivialité
que je compte, naturellement, dépasser, que je dépasse
d’ailleurs déjà en ce qu’elle n’exclut
pas qu’il me fasse question : comment se peut-il, par exemple,
qu’un Besançenot manifeste plus de sympathie à un
Dominique Strauss-Kahn (cf. sur France 2 l'émission « Débats
croisés » du 25 mai) qu’à un Laurent Fabius
indiquant une claire inflexion à gauche de son action politique
et un clair engagement à la revalorisation du secteur public,
explicitement opposée à la dissolution que prône
Dominique Strauss-Kahn du service public en « missions de service
public » offertes à la concurrence d’entreprises
privées ? Et comment se peut-il que des trotskistes (si je les
ai bien identifiés) m’accusent de travailler contre la
« gauche » (au service d’une droite que je n’aurais
que faussement « trahie »), quand je critique l’actuelle
direction du PS, et de s’être prononcée pour le Oui
à la constitution (bien avant le référendum interne),
et de s’obstiner (après le référendum national)
à discréditer le Non et à en neutraliser les effets
?
Encore une fois, je ne voudrais
pas que l’on s’y trompe : mon effort n’est que de
me rendre intelligibles et cohérents les paradoxes que je vois
dans le comportement politique des trotskistes. Chacun pourra mesurer,
en fonction de son degré de connaissance de cette question, celui
de mon ignorance ou de ma stupidité : il n’y a en tout
cas, de ma part, aucune prétention ni aucun mépris. 3- Crédibilité historique du trotskisme J’en viens donc au fond (là,
du moins, jusqu’où je suis capable d’aller, c’est-à-dire
sans doute pas très loin…).
Si je me permets de résumer
grossièrement ce que j’ai compris du raisonnement de Trotsky
sur la nécessité, pour la Russie de son temps, d’une
extension de la Révolution à l’Europe entière,
c’est, pour l’essentiel, qu’il en attendait une compensation
du retard du développement aussi bien culturel qu’infrastructurel
de l’industrialisation de la Russie relativement au reste de l’Europe,
afin d’y surmonter les tendances réactionnaires d’une
paysannerie de culture encore féodale.
Nous avons eu les oreilles rebattues
(et ce n’est pas fini !) de l'accusation d’une prétendue
« arrogance » française chaque fois que nous avons
entrepris de défendre l’exigence du projet social qui caractérise
la France, et en particulier (j’en parle d’expérience)
de la part des tenants du Oui de « gauche » (cf., par exemple,
ma réponse à l’équipe DSK en page «
Suites », II). Au-delà des évidentes
manœuvres de décrédibilisation du Non, ce que je
trouve suspect, c’est moins cette assimilation scandaleuse d’un
minimum d’exigence à un maximum d’arrogance que la
propension manifestement complaisante à mettre ici l’arrogance
au passif de l’image du Français dans le monde (à
laquelle serait prioritaire de substituer celle d’un « profil
bas »).
Reste que, par la force des choses,
de la vie, des générations montantes, celle de la parole
aussi, on en sort, on est en train d’en sortir. On en sort, parce
qu’on en parle. On commence tout juste à pouvoir, sans
y penser, dire de quelqu’un qu’il est Juif. Sans honte.
Ni pour soi ni pour lui.
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Il y a tout de même
quelques mots à dire de la déclaration de Tony Blair au
Conseil européen sur l’alternative qui s’ouvrirait
aujourd’hui à l’Europe, soit de s’en tenir
à des schémas d’un demi-siècle d’âge,
soit de s’adapter résolument aux nécessités
de l’évolution présente et, selon lui, à
venir du monde-comme-il-va. Ladite opposition serait (comme
toujours et depuis beaucoup plus d’un demi-siècle) celle
de l’archaïsme et de la modernité (Mitterrand était
déjà l’archaïque de Rocard, de Gaulle celui
de Lecanuet ou de JJSS, Blair lui-même est aujourd’hui celui
de…Madelin pour qui l’avenir est à...Thatcher !). Cessons, en effet, de nous leurrer
sur la nature et les conditions du succès de la politique blairiste
: il tient à deux facteurs bien distincts, l’un de simple
gestion des ressources publiques (dont il n’est certes pas exclu
que telle ou telle disposition, au reste éventuellement déjà
empruntée à l’extérieur, soit applicable
n’importe où ailleurs qu’en Angleterre : mais ce
n’est pas ce qui justifie qu’on parle d’un «
système Blair ») et l’autre, proprement économique,
ou plutôt fiscal, qui ne constitue qu'un prolongement de la politique
thatchérienne, à la brutalité de laquelle toute
pondération sociale doit d'apparaître, par contraste, comme
un prestigieux équilibre de social-libéralisme. Autrement dit, le « modèle
» Blair n’est efficace qu’à la condition que
tout le monde ne le suive pas (ce qui est la définition même
de l’immoralité selon Kant), c’est-à-dire
que ce ne soit pas un modèle. Et si tout le monde le suivait,
de cette harmonisation fiscale vers le bas ne résulterait, en
chaque nation, qu’un nouvel appauvrissement des plus pauvres au
bénéfice des plus riches. Mais au-delà des stratégies politiques et du jeu des intérêts particuliers, ce qui s'exprime directement, dans le discours de Blair, c'est que l’alternative entre l’union ou la division européenne est d’abord celle qui oppose deux conceptions du sens de la vie en société comme de la raison d’être du politique, l’une pour laquelle c’est de s’adapter au monde prétendument comme-il-va, l’autre, de s’efforcer de se l’adapter, avec tous les risques d’une plus haute exigence, tout simplement plus « humaine », à tous les sens du mot. |
Dès le soir
du 16 juin, nous avons donc pu assister, en direct de Bruxelles, à
une véritable scène hallucinatoire de comique de l’absurde,
sans doute inspirée d’une récente relecture de quelque
pièce de Ionesco, à moins que ce ne soit plutôt
de l’Ubu roi d’Alfred Jarry, où un président
du Conseil européen, très en verve, se moquait ouvertement
des journalistes convoqués à la conférence de presse
qui devait les informer des conclusions de la réunion du Conseil
sur la poursuite ou non du processus de ratification du « traité
constitutionnel » (nous savons que c’est ainsi qu’on
le nomme, quand il a du plomb dans l’aile), en les avertissant
d’emblée, au terme d’un exposé surréaliste,
qu’il ne voyait pas du tout quelles questions pourraient lui être
posées, mais que leur imagination ne connaissant pas de limites,
il n’en était pas moins prêt à les entendre...
Ce fut donc un festival d’humour
"pince sans rire", avec ce léger inconvénient,
toutefois, qu’étant généralement "sans
rire", non plus, des auditeurs, on ne savait plus très bien
ce qui était à prendre au premier degré ou au sens
d’une antiphrase. En attendant, comme il n’y
aurait toujours pas de plan B, c’est-à-dire pas de renégociation
envisageable (on lâche étourdiment tout de même,
restant de réalisme ou de réflexe démocratique
: dans un avenir prévisible), notre expert en jeux de mots nous
a dégoté (de derrière l’obscène C)
un nouveau plan D « comme Débat, Dialogue ou Démocratie
» (sic), en résumé une pause dans le processus de
ratification, mais tenez-vous bien, une pause à destination,
non pas de ceux des Etats qui suivent la voie exclusivement parlementaire
(ceux-là, il va de soi que c’est comme si c’était
déjà fait) mais, bien entendu, des neufs malheureux plus
ou moins contraints d’en passer par leur peuple, c’est-à-dire
par la voie référendaire. Et ce qu’il faut comprendre,
nous est-il péremptoirement déclaré, c’est
que ce « traité constitutionnel » est la seule réponse
à toutes les questions que peut poser l’évolution
de l’Europe. Il suffit de savoir lire, mais comme, visiblement,
les peuples ne savent pas lire, on va le leur expliquer. C’est là, pour moi,
le grand intérêt de ce ralentissement d’un «
processus de ratification » désormais dénué
de toute pertinence juridique. Une dernière note, pour
Chirac. Jusqu’à nouvel ordre,
la girouette continuera donc à tourner au gré de notre
vent. C’est dire que notre responsabilité politique est,
à présent, totale. |
Je viens de découvrir,
paru il y a moins d’une semaine, la nouvelle publication de Jacques
Généreux, «
Sens et conséquences du "Non" Français »,
un opuscule, comme toujours, magistral. Il propose, au-delà du plan
B qui se prépare (et qui est celui dont je viens de dénoncer
l’inanité) ainsi que de deux autres, l’un, C (qui
serait, selon lui, l’idéal) et l’autre, D (celui
d’une Europe à géométrie variable dont il
montre assez bien les limites et les risques), ce qu’il appelle
un plan E (comme « Europe » !), le seul qui, dans la situation
actuelle, représente, mieux qu’un compromis acceptable,
une première étape sur la voie d’une véritable
réorientation de la construction européenne. Vous qui me lisez, lisez ce texte
et ne vous contentez pas de le lire : quand vous l’aurez lu, faites-le
lire et surtout…achetez-le ! Il y a longtemps que nous le savions,
que nous savions que notre Non était empreint d’une puissance
d’affirmation infiniment supérieure au Oui du consentement
ou de la résignation. Et nous savions exactement ce que nous
voulions, à la lumière de quoi, exclusivement, nous avons
pu savoir aussi à quoi nous disions Non. |
La question n’est
plus de savoir si la partie III était ou non à sa place
dans le projet de Constitution qui nous était proposé
: elle s’y trouvait lorsque nous avons refusé ce projet.
Contrairement à ce qu’on
nous ressasse depuis des mois, l’alternative n’était
pas, elle n’a jamais été, entre le moins bien (que
représenterait le Traité de Nice) ou le mieux (qu’aurait
représenté le projet de Constitution) : elle était
entre la constitutionnalisation d’un Traité de Nice prétendument
amélioré ou le refus de cette constitutionnalisation.
J’ajoute qu’à
supposer que nous ayons refusé une amélioration du Traité
de Nice, refuser même cette amélioration, c’eût
été encore, et à plus forte raison, refuser le
Traité de Nice. Ce n’est pas nous qui avons
choisi de remettre en cause le statu quo : c’est l’unanimité
des représentants des Etats membres de l’Union en nous
présentant ce projet de Constitution. Quant à s’imaginer
que nous pourrions nous contenter d’une renégociation de
la seule troisième partie du projet de Constitution, ce serait
gravement sous-estimer l’attention que nous avons prêtée
au texte : on ne compte pas le nombre d’articles des autres parties
qui se réfèrent à celle-ci, la préparent
ou en indiquent la portée, au point que la reprise de leur contenu
en elle n’en constitue souvent qu’une explicitation. Et nous ne demandons pas, comme on fait semblant de le croire, qu’elle soit, du jour au lendemain, orientée dans une autre direction, opposée à celle de l’actuel projet, mais simplement qu’elle s’abstienne de prédéterminer, à l’exclusion de toute autre, la direction politique, économique et sociale dans laquelle elle s’oriente, qu’elle ouvre au contraire un véritable espace de liberté, nécessaire à la vie démocratique des peuples qu’elle veut unir, et qu’elle satisfasse par conséquent, cette fois réellement, à la double exigence, qu’elle s’est donnée pour devise, de l’union dans le respect de la diversité. |
En relisant ce que je
viens d’écrire sur le sens de notre Non, je réalise
que ce texte pourrait assez bien s’interpréter comme d’un
fabiusien ratissant (à la Chevènement) sur les terres du
gaullisme et qui ne s’intéresserait à une présidentielle
anticipée que pour permettre à son "favori" de
profiter pleinement de l’occasion la plus avantageuse qui puisse
jamais se présenter à lui d’accéder au pouvoir
suprême, sans autre investiture que celle du peuple ni aucun autre
programme que le seul déductible du 29 mai, tel que même
nos médiocrates sont bien obligés de finir par faire semblant
de le décrypter, sous peine de passer du statut de l’élite
à celui de la lie intellectuelle de la nation.
Eh bien, pourquoi pas ? Et d’autant moins que nous
nous sommes justement donné les moyens de l’éviter.
Un piège se prépare,
dès à présent, pour l’imminente échéance
de la réunion du conseil européen des 16-17 juin (jeudi
et vendredi de cette semaine) : on prévoit de nous berner en
nous présentant comme une concession de retirer de la Constitution
cette fameuse partie III, puisque c’est clairement celle qui fait
difficulté. Les Français seront supposés se réjouir
de ce qu’on ait pris leur suffrage en compte, sans que nos gouvernants
aient à se déjuger : ne nous l’avaient-ils pas bien
dit, qu’en refusant ce projet, nous garderions précisément
l’essentiel de ce que nous en aurions refusé, c’est-à-dire
précisément cette partie III, « simple reprise et
synthèse de l’ensemble des traités en vigueur »
? Il n’est pas jusqu’à
l’impertinent Serge July qui n’ait été conduit
à soutenir cette évidence, le 7 juin, sur le plateau de
France-Europe-express (le programme de l’Europe à Très
Grande Vitesse : « elle roule pour vous, dormez, braves gens,
vous êtes sur des rails ! »). Alors, qu’ils essayent seulement
! Et il faudra que notre réaction soit à la mesure de
leur audace et de leur cynisme. Bien entendu que l’essentiel
n’est pas là, qu’il va nous falloir travailler, maintenant,
à un nouvel avenir de l’Europe. Et que c’est urgent.
Et nous sommes déjà nombreux au travail. |
||
Un tel sentiment de délivrance,
un tel débordement d’enthousiasme, de pensées diverses
me sont venus à l’annonce de cette victoire du Non, elle-même
accompagnée de tant de mots d’amitié (j’ose à
peine l’avouer : de reconnaissance, moi qui en mérite si peu
d’avoir tellement tardé !), qu’il ne m’a pas fallu
moins que trois ou quatre jours, dans un premier temps, pour tâcher
de clarifier ce que je pourrais avoir à dire d’à peu
près sensé, voire d’éventuellement utile à
ceux qui s’y intéresseraient. J’ai même éprouvé, un moment, la tentation de me taire, de m’effacer complètement, mon « devoir » accompli, de retourner au paisible anonymat qui était le mien avant que je ne me sois cru obligé d’exposer mon témoignage et les raisons d’un choix qui me paraissait vital pour la France et pour l’Europe : qui dépassait de loin ma personne. Puis j’ai commencé à recevoir certains courriers où on s’étonnait de mon silence, qui me donnaient l’impression douloureuse de décevoir, peut-être d’avoir déserté, trahi, en fin de compte, et cela dans le même temps où je prenais progressivement conscience qu’en réalité rien n’était gagné, pas même cette première vraie bataille, et que, si faible qu’ait pu être mon poids dans ce formidable jeu d’équilibre des forces, je n’avais plus le droit d’en renier ma part de responsabilité, d’abandonner à l’ouverture, par définition largement indéterminée, du Non, aucun de ceux, quand il n’y en aurait eu qu’un, que j’aurais contribué à convaincre d’y entrer. C’est pourquoi je voudrais maintenant, afin de lutter contre le révisionnisme en direct auquel nous assistons, reprendre d’abord le fil de notre histoire et tenter d’exposer ce que j’en comprends et les conséquences qui me semblent devoir en être tirées pour le proche et plus lointain avenir.
Il faut remonter un peu plus haut
dans le temps. Souvenez-vous : c’était fin août. En
dépit de l’impopularité, déjà, du pouvoir
en place, et de la situation catastrophique, déjà, de la
France, les sondages l’attestent, nous étions près
de 70% à vouloir une constitution pour l’Europe. On ne
l’a pas assez dit : l’a priori était d’emblée
favorable, soutenu par une tradition historique nationale d’aspiration
au Droit dans son acception politique la plus profonde et originelle –
comme instance ultime de prévention contre l’état
de guerre et de protection du faible contre le fort – encouragé
encore, en l’occurrence, par la conscience de la nécessité
d’adapter les institutions de l’Union aux exigences nouvelles
que lui imposait un élargissement d’une ampleur et d’une
difficulté sans précédent. Le retard de ma réaction m’oblige à prendre en compte, malheureusement, une orientation tout autre de nos puissances d’établissement. Laissons de côté les
médias qui s’obstinent à coups de sondages grossièrement
manipulateurs, mais tout aussi facilement décryptables, à
vouloir nous convaincre en même temps que le Non est bien lepéniste
et que Lionel Jospin reste le présidentiable préféré
des socialistes : on ne s’en remet pas, d’avoir agité
en vain l’épouvantail dépenaillé du 21 avril,
on s’exaspère de l’absence aggravante, ici, de toute
mauvaise conscience, on n’en revient pas, que l’instrumentalisation
médiatico-mitterrando-chiraquienne de Le Pen, ça ne marche
plus. Autrement plus grave est le comportement
de la direction du parti socialiste qui confirme au-delà de mes
craintes l’explication que j’avais risquée de l’ardeur
de son engagement pour le Oui : une stratégie purement politicienne
de conquête du pouvoir sur le court et long terme que je me suis
déjà efforcé de clarifier dans l’exposé
de mes arguments pour le Non (17, 18 et 19) et sur lesquels on voudra
bien me dispenser de revenir, tant les effluves en sont nauséabonds. Mais que penser, alors, de l’attitude
qui fut celle du « Bureau directeur » de ce parti envers Laurent
Fabius, dès le soir des résultats du référendum
? Totalement imperméables à l’expression de la volonté
du peuple, n’ayant rien de plus pressé que d’en détourner
sciemment la signification pour la réduire à une simple
manifestation de mécontentement populaire purement conjoncturel,
se gardant bien, pour autant, d’exiger, en conséquence, la
démission du chef de l’Etat, les ténors « socialistes
» n’avaient déjà plus en tête que leur
obsession de se positionner en vue de la course aux présidentielles
de 2007, en commençant par en éliminer leur candidat, cette
fois, en effet, le plus « naturel », c’est-à-dire
par l’exclure de la direction du parti. Car c’est là l’évidence à laquelle il faudra bien finir par se rendre. Il y a un moment que je crois avoir
compris (d’ailleurs pas tout seul) que mon archéo-gaullisme
pragmatique était incommensurablement plus à gauche que
le néo-libéralisme dogmatique de la si fameuse « gauche
européenne » à laquelle s’abandonne désormais
le PS, comme à son délire fusionnel de retour à cette
indifférenciation qui caractérise la vie intra-utérine
(vertigineux fantasme d’une Europe voluptueusement matricielle…),
mais je n’avais pas encore perçu, dans toute l’ampleur
qui m’en apparaît maintenant, la gravité d’un
tel glissement. Je m’explique. Or ce qui se passe à présent,
c’est que droite et gauche de gouvernement s’accordent
à s’appuyer sur l’idéal de la construction européenne
pour légitimer leur commun renoncement aux exigences de ce projet
social spécifique de la France. Et le paradoxe est ici que
c’est son anti-nationalisme qui incline le plus naturellement la
gauche à sacrifier à l’Europe son opposition au libéralisme,
alors que c’est le nationalisme de droite qui est porté à
s’opposer le plus naturellement à la dissolution de la spécificité
française dans la mondialisation néo-libérale de
l’Europe. Le prodige, dans cette apparente
confusion générale dont le PS, en particulier, ne s’est
pas privé de jouer, c’est qu’au-delà de tous
les partis, le peuple, lui (car c’est justement la définition
du peuple que de pouvoir être de TOUS les partis), ne s’y
est pas trompé.
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