Campagne
pour la ratification ou le rejet du projet de Constitution pour l'Europe
– mai 2005 – |
Témoignage d'un revenu
du Oui suivi d'un inventaire d'arguments inédits (à sa connaissance à l'heure de leur mise en ligne) en faveur du Non |
NOTES |
A 15 jours
de l'échéance électorale du 29 mai, je crois de mon
devoir de citoyen d’apporter au débat public quelques éléments
tirés de mon expérience personnelle. Je n’ai pas eu
le courage d'en prendre le temps auparavant, je le fais maintenant sans
plaisir.
De prime abord naturellement favorable
au projet de Constitution européenne – un « oui du
cœur » –, j’ai passé tout le temps de la
campagne à l’intérieur de l’un des principaux
états-majors du Oui jusqu’à ce que, progressivement
confronté au texte lui-même par la nécessité
de répondre aux arguments du Non, j’en vienne à m'opposer
à moi-même dans la conscience du danger que ce projet de
Constitution faisait courir à la démocratie républicaine.
--------- Je m’appelle Thibaud de La Hosseraye, j’ai 28 ans et une formation à la fois commerciale (HEC, spécialisation « Europe ») et philosophique (D.E.A). Sur les mérites supposés de ces diplômes (et, peut-être, d’un prix de l’Académie des Sciences morales et Politiques) (1), j’ai été recruté en décembre 2004 par le club Dialogue & Initiative pour participer bénévolement à leurs travaux. Laboratoire d’idées du courant de pensée de Jean-Pierre Raffarin, donc véritable « brain trust » du Premier Ministre, Dialogue & Initiative est structuré en Commissions chargées d’approfondir différentes thématiques en vue d’alimenter la réflexion des parlementaires se reconnaissant dans cette sensibilité politique (2). J’ai pour ma part intégré la Commission Europe. Mais ce que je n’avais pas prévu, c’est que, d’une réflexion de fond devant initialement porter sur le contenu de l’identité européenne, nous allions bientôt nous trouver engagés de plain-pied dans la campagne référendaire. Dès janvier 2005, il n’a plus été question de réfléchir posément à la définition de « la meilleure Europe possible », nous étions activement mobilisés pour produire des argumentaires en faveur du Oui. Ayant toujours été très favorable à la construction de l'Union européenne et n’éprouvant aucune réticence à l’idée de la doter d’une Constitution, je me suis volontiers adapté, et j’ai commencé à étudier de près ce projet de Constitution pour produire des argumentaires de soutien. Cela était somme toute cohérent : c’est parce que ma spécialité supposée était l’argumentation que l’on me missionnait à présent en priorité sur la rédaction d’argumentaires. --------- Alors
que je m’acquittais du moins mal que je pouvais du travail que l’on
m’avait confié, j’ai été, au milieu de
la campagne, lors d’une de nos réunions hebdomadaires du
lundi (3), troublé d’entendre
le participant le plus autorisé énoncer sur le ton de l’évidence
que « comme on ne peut pas contrer les arguments du Non,
il faut le discréditer, le ringardiser »(4)
…. sans que cela ne soulève la moindre vague de protestation
chez les participants. Mais, du jour où je constatais que ceux-là même qui proclamaient haut et fort leur attachement au projet de Constitution n’hésitaient pas, dans le même temps, à reconnaître la supériorité théorique des arguments du Non… sans en tirer pour eux-mêmes de conséquences, j’étais en droit de m’interroger sur leurs motivations réelles à soutenir leur camp. Si ce n’était pas par conviction, pour quelle raison, alors ? Nul ne peut le dire à leur place. Mais, pour ce qui est des responsables politiques proprement dits, dont les participants aux réunions de Dialogue & Initiative ne sont que les fidèles collaborateurs (plus ou moins directs), leur engagement si fébrile en faveur d’un Oui qui ne les convainc pourtant pas paraît à tout le moins accréditer l’hypothèse que leur spontanéité à choisir leur camp se trouve limitée par l’intérêt immédiat qu’ils ont à ce que cette Constitution soit ratifiée : en cas de victoire du Non, ils seraient les premiers à en faire les frais dans la mesure où ils seraient définitivement discrédités pour renégocier quelque nouvelle Constitution que ce soit. Et en effet, si cette Constitution dont gouvernements de droite comme de gauche se sont rendus responsables(5) ne passe pas, le problème n’est pas qu’elle ne pourra pas être renégociée (6), mais seulement que c’est par eux qu’elle ne pourra pas l’être (cf. l’argument 11). Dès lors il devient impératif, pour tout professionnel de la politique disons un minimum soucieux de son avenir, d’user de tous les moyens disponibles pour faire passer cette Constitution, qu’il soit ou non convaincu de ses bienfaits(7). Ce à quoi nous assistons. Pour ma part, la prise en compte de ce caractère irrationnel(8) du soutien au projet de Constitution m’a enjoint à un surcroît d’exigence intellectuelle : puisque les arguments d’autorité qui m’avaient jusqu’alors impressionné en faveur de la Constitution ne me paraissaient plus recevables, parasités qu’ils étaient par des calculs personnels, je ne pouvais désormais prendre appui, pour soutenir mon Oui, que sur des arguments dûment fondés en raison. Autrement
dit, cette remarque si révélatrice faite tout haut en réunion,
jointe à mon côtoiement régulier des membres de cabinets
ministériels (lors de nos réunions hebdomadaires), m’a
donné une succincte mais suffisante connaissance du contexte qui
m’a reconduit à une lecture plus attentive, davantage littérale,
du texte lui-même. --------- Or justement, en revenant au texte, rien qu’au texte, je n’ai pu qu’être intrigué par son caractère disparate, mêlant curieusement dispositions institutionnelles et prescriptions de politique économique qui n’ont a priori rien à faire dans une Constitution. Pourquoi diable avoir brouillé le message proprement constitutionnel avec des prescriptions économiques relevant d’un autre ordre juridique, celui d’une loi-cadre ? Et quelle conclusion en tirer, sinon que cette Constitution poursuit manifestement d’autres objectifs que strictement constitutionnels ? C’est
par un tel raisonnement, aussi impartial et documenté que possible,
que j’ai peu à peu réalisé une chose qui a
choqué le démocrate en moi, la fonction inavouée
du projet de Constitution : servir de machine d’accréditation
exclusive et définitive d’une idéologie politique
déterminée, celle du libéralisme. Inutile de préciser que je ne suis pas pour autant passé du libéralisme social (à vocation humaniste) qui caractérise le courant Raffarin au socialisme, même libéral, d’un Cohn-Bendit ou d’un DSK. Pour moi, le libéralisme est tout à fait défendable, au moins à moyen terme, comme orientation d’une politique économique salutaire dans une conjoncture économique donnée, mais pour autant seulement qu’on ne prétende pas l’absolutiser en principe directeur exclusif de toute autre possibilité d’orientation économique (9). Il me semble que toute la puissance de rassemblement du gaullisme résidait précisément dans cette capacité d’ouverture théorique, éminemment démocratique et pragmatique, permettant de conjuguer, selon les circonstances et les domaines, jusqu’aux extrêmes du capitalisme le plus dynamique et de la planification. --------- Ce
qu’il y a d’inacceptable, dans le projet de Constitution,
c’est que le libéralisme n’y est pas présent
seulement comme une politique parmi d’autres possibles, mais comme
l’unique principe normatif d’un processus qui s’affirme
irréversible et qui se subordonne explicitement l’ensemble
des objectifs déclarés, y compris d’ordre social (10).
C’est
donc la prise de conscience que cette Constitution avait pour fonction
d’être un écran de fumée constitutionnalisant
une idéologie déterminée, qui m'a conduit à
y voir un grave danger pour la démocratie et qui a converti mon
« oui du cœur » en un « non de raison ».
Je m’explique : Il
ne me paraît par conséquent pas trop fort de parler de manipulation
démocratique, dans la mesure où l’on use sciemment
d’un subterfuge(13) (la promotion d’évolutions
institutionnelles, habillées d’une rassurante rhétorique
sociale et humaniste) pour faire enfin ratifier, sans avoir l’air
d’y toucher, ce que l’on sait pertinemment être une
doctrine économique des plus suspectes aux yeux de l’opinion
publique française (en raison même de l’attachement
toujours manifesté de celle-ci à l’idéal social
et républicain hérité de la Révolution de
1789 et précisé dans le programme de la Résistance
mis en œuvre par le Général de Gaulle dès 1945).
En
définitive, tout indique que cette Constitution a été
rédigée dans le but très précis d’impliquer
la volonté populaire –et plus particulièrement française-
dans la constitutionnalisation d’une certaine doctrine économique,
à l’exclusion de toute autre, alors même que le propre
d’une Constitution démocratique, ou même simplement
authentiquement libérale, est de permettre au peuple souverain
de pouvoir choisir entre différentes théories économiques.
C’est l’ampleur de ce danger que je vais à présent m’efforcer de montrer, à travers l’exposé de 19 arguments, à ma connaissance inédits, en faveur du Non. Par mon rôle même chez Dialogue & Initiative, je crois avoir une certaine familiarité avec les arguments du Non, mais les points suivants n’ont, me semble-t-il, jamais encore été relevés, en dépit de leur importance, à mes yeux décisive. A quoi tient le fait qu’ils soient encore inédits ? Je ne me l’explique pas. Peut-être fallait-il d’abord toute la distance d’une position longtemps favorable au Oui pour permettre leur ébauche, puis les nombreux débats qui m'en ont précisé les contours.
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2- Sur le retournement de l'objection (précédemment réfutée) par la mise en lumière de l'incohérence du Oui, en particulier de celle propre au Oui de gauche : arguments 4-5-6-7. 3- Sur la tentative de coup de force d'une légitimation rétroactive des Traités antérieurs, avec pour seule alternative de les ratifier ou...de les garder ! : arguments 7-8-9-10. 4- Sur l'illégitimité de l'auto-négation de la puissance nationale, même en vue de la supra-nationalité d'une puissance européenne que cette Constitution, de toute façon, interdit : arguments 10-11-12-13. 5- Sur le caractère d'abord anti-européen de cette Constitution, d'où peut se déduire la seule finalité susceptible de lui donner un sens : arguments 13-14-15-16. 6- Sur l'élucidation, à
partir de cette mise en évidence, du véritable sens de l'incohérence
théorique du Oui de gauche, dans une perspective stratégique
: arguments 16-17-18-19. Les arguments articulant les thèmes
seront "colorisés" en rouge.
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RESUME DES ARGUMENTS
• L’argument 1 montre qu'un rejet par la France du projet de Constitution aurait une signification particulière : cela signifiera l’exigence de plus de social dans le projet européen. D'où sa valeur éminemment positive, constructive. • L’argument 2 constate que, entre partisans du Oui et ceux du Non, il y a accord sur le sujet du désaccord : tous reconnaissent que c’est le contenu libéral de la partie III du projet de Constitution qui pose problème. • L’argument 3 montre que le sens du Non souverainiste est lui aussi anti-libéral. • L’argument 4 constate cette homogénéité du Non et relève, a contrario, la différence de fond entre le Oui de droite et le Oui de gauche : l’un accepte telle quelle la forme de libéralisme consacrée par la Constitution, l’autre prétend pouvoir la corriger. • L’argument 5 montre que, en raison de la signification sociale d'un Non français, la gauche prend un risque stratégique majeur à soutenir le Oui : celui de laisser l'initiative du Non à un pays lui donnant un moindre sens social. • L’argument 6 montre que l'argument précédent n'est jamais invoqué précisément parce qu'une Constitution plus libérale encore paraît, même à la gauche, difficilement réalisable. • L’argument 7 montre qu’en vertu de sa subordination explicite aux législations nationales, la Charte des droits fondamentaux n’a aucune valeur normative : elle n’est pas juridiquement contraignante pour les Etats membres. • L’argument 8 relève que puisque c’est le contenu libéral de la partie III de la Constitution qui fait le plus débat et qui apparaît comme le point décisif au sujet duquel vont s’exprimer les électeurs, ce serait un déni de démocratie particulièrement flagrant que de l’appliquer quelle que soit l’issue du vote, en tenant pour rien l’expression de la volonté populaire. • L’argument 9 montre que l’on a mis les électeurs devant un fait accompli : la libéralisation à outrance de l’économie européenne. En leur expliquant que plus rien ne peut être fait contre cela même pour quoi on leur demande pourtant de voter, on leur demande en réalité d’ériger un fait en droit. • Les arguments 10 et 11 montrent que les dirigeants qui aujourd’hui prétendent toute renégociation de la Constitution inenvisageable se discréditent d’avance pour une éventuelle renégociation demain. En cela, le vote du 29 mai est bien aussi un enjeu de politique nationale, sur le choix de nos dirigeants de demain. • L’argument 12 relève combien la dénonciation d'un "débat franco-français" à propos du débat sur la Constitution manifeste une conception de l'Europe négatrice des identités nationales. • L’argument 13 montre que le contenu exclusivement libéral du projet de Constitution conduit à une dilution de l’Europe, en ne distinguant aucunement le libre-échange régissant les rapports entre ses Etats membres de celui promu, hors d'elle, par la mondialisation(16). • L’argument 14 montre que l’attachement définitif à l’OTAN signe l’arrêt de mort du projet d’Europe européenne. • L'argument 15 montre que les bienfaits de l’Europe vantés par les partisans du Oui plaident au contraire pour le rejet de cette Constitution. • L'argument 16 montre en quel sens on est conduit à dire que cette Constitution n'a d'autre finalité que de subvertir les fondements même de l'état de droit. • Les arguments 17, 18 et 19 exposent comment les partisans d’un « Oui de gauche » pratiquent sciemment la politique du pire pour mieux s’imposer dans la politique nationale. Leurs arguments pour rejeter la directive Bolkestein en sont une parfaite illustration.
EXPOSE DES ARGUMENTS
2/ Les partisans du Oui les premiers, de droite comme de gauche, se sont chargés de clarifier le sens du Non puisqu’ils n'ont cessé, jusqu'ici, de tenter de convaincre les Français que cette Constitution n’est pas libérale. C’est bien la reconnaissance que ce qui pose problème, c’est son libéralisme, et ce pour tout le monde (à part Sarkozy et de plus en plus de représentants de la majorité gouvernementale qui, devant l'impossibilité, désormais, de rester crédibles en niant ce caractère libéral, pensent plus stratégique, sur le court et long terme, de s'en réclamer ouvertement, d'imputer au "modèle" français les carences de sa gestion et, plutôt que d'y remédier, proposent de "changer la France grâce à l'Europe", c'est-à-dire de continuer à s'appuyer sur Bruxelles pour se dédouaner de ce dont les Français ne veulent pas). (17) 3/ Le Non souverainiste est lui aussi anti-libéral (en tout cas au sens du libéralisme imposé par cette Constitution) dans la mesure où d'abord il se réclame de la spécificité nationale française et où il revendique également à l'échelle européenne au moins la possibilité de droit d'un protectionnisme pourtant inévitable face aux excès de la mondialisation. 4/ Sur le refus français de la Constitution de l’UE, il n’y a donc pas de différence entre Non de gauche et Non de droite (au moins européenne) alors qu’il y a une divergence radicale sur le fond entre oui de droite et de gauche (même si ce n’est plus la même droite –ni sans doute la même gauche) puisque la droite approuve le libéralisme tel que le normalise la Constitution alors que la gauche ne l'accepte et ne consent à le constitutionnaliser que dans la perspective de le corriger, compléter, détourner ou contourner, c'est-à-dire qu'avec beaucoup moins de cohérence que la droite, elle soutient ardemment une Constitution...dont elle nous assure déjà qu'elle fera tout pour en neutraliser l'orientation ! (18) 5/ La gauche devrait plutôt réaliser qu'en votant Oui, les Français prendraient le risque énorme de laisser la voix du Non à une autre Nation, nécessairement moins sociale ou plus libérale que la France. Et ce Non signifierait alors clairement une exigence de plus de libéralisme et de moins d’Union sociale (ou de possibilité d’indépendance nationale dans le choix d’une politique sociale au sens français). Un Oui de la France ne serait donc pas seulement un Oui à cette Constitution, mais un Oui à la possibilité de son rejet en vue d'une restriction encore plus drastique du minimum résiduel de contrainte sociale qu'on peut y trouver, quoique encore toujours subordonné au meilleur fonctionnement d'une économie exclusivement libérale. 6/ Pourquoi ce dernier argument n'est-il jamais invoqué, sinon parce qu'implicitement, chacun convient de l'improbabilité d'une Constitution encore plus libérale que celle-ci ? On a bien tort : on peut toujours faire pire, ou au moins tenter...(Il ne faut donc pas non plus se laisser prendre au faux argument de l'urgence d'un besoin de Constitution, qui ne serait de toute façon pas satisfait avant 2009. C'est toujours une pratique suspecte que de presser quelqu'un de signer un contrat...) 7/ Les sociolibéraux du PS et des Verts ne cessent d’arguer de la Charte des droits fondamentaux pour y voir une protection contre toute « dérive ultralibérale » (puisqu'ils n’ont rien contre le libéralisme) alors qu’ils prétendent réduire la partie III, loi-cadre prédéterminant la politique économique et sociale de l’UE, à une simple synthèse récapitulative « pour mémoire » des traités antérieurs, sans véritable valeur constitutionnelle (même s’ils n’osent pas aller expressément jusqu’à cette contre-vérité, ils s’efforcent de la suggérer par des artifices rhétoriques). La vérité est inverse : la Charte n’a pas de valeur juridiquement contraignante puisque tout en s’inscrivant dans la Constitution, elle y inscrit en même temps la restriction explicite qu’aucun de ses articles ne saurait prévaloir, dans aucun des Etats membres, sur les pratiques institutionnelles de cet Etat (cf. II-111-2, II-112-4 et 5 et le préambule) (19). Au contraire, la partie III, elle, se présente elle-même comme absolument contraignante et elle est littéralement normative. Si elle est intégrée dans la Constitution, ce n’est donc pas comme un corps étranger (ce qui est le cas, en revanche, pour la Charte) mais bien en effet pour lier l'adoption de la Constitution à un engagement au respect des principes de l’idéologie libérale qu’elle explicite sans équivoque et des conséquences pratiques impliquées par ces principes et qu’elle détaille par le menu. 8/ Or justement parce que la partie III est plus constitutionnelle ou constitutionnalisée que la partie II, dire Non à cette Constitution, c’est en toute logique dire non à la partie III bien plus encore qu’à la Charte. Il est donc scandaleux de prétendre que le Non serait un Non qui s’appliquerait uniquement aux autres parties sans obligation de renégociation de celle-ci et que nous serions simplement reconduits au statu quo, c’est-à-dire à ce qui aurait été refusé sans conteste, au moins en France, de l’avis même des partisans du Oui, puisque J-P Raffarin a osé le sophisme que ceux qui s’opposeront à la Constitution n’obtiendraient que de garder de l'Union précisément ce qu’ils en refusent. (20) Ce serait un déni de démocratie sans précédent, qui devrait suffire à discréditer tous ceux qui en soutiennent la possibilité (21). 9/ Le chantage est le suivant : sous peine de retour au statu quo, on demande au peuple d’ériger le fait historique (l'évolution libérale de la construction européenne) en un droit fondateur, en se liant définitivement à ce qu’il aura consacré, en lui interdisant à l’avenir de dénoncer ce qu’il aura lui-même signé. Mais le Non n’est pas un retour au statu quo : même dans l'hypothèse où il ne serait suivi d’aucun effet positif, le peuple se serait prononcé contre ce qui ne pourrait plus dès lors lui être qu’imposé, en dépit de sa volonté déclarée : en réalité, dans l'option du Non, au lieu de se lier à un contrat léonin, le peuple garde les mains libres et il s’acquiert même un droit nouveau, celui de s’opposer à son propre gouvernement et de le renverser par l’insurrection si celui-ci persistait à lui imposer l’application d’une règle ou d’un règlement contraire à son suffrage. La renégociation de la Constitution en cas de victoire du Non (et par conséquent aussi, et même prioritairement des traités antérieurs tels qu'ils sont repris dans sa partie III), si c'est un Non de la France, est donc une obligation, et juridique, et démocratique, et politique au sens le plus radical, qui est absolument incontournable. (22) 10/ Ceux qui prétendent une renégociation de l’organisation actuelle de l’UE inenvisageable choisissent d’ores et déjà de ne pas se conformer à la volonté nationale et la trahissent déjà en affaiblissant d’avance leur propre Nation au cas où le Non l’emporterait puisqu’ils ne se voient que plaider coupables et contraints au profil bas pour toute éventuelle renégociation ultérieure. C'est exactement ce que l'on appelle une forfaiture, et ce, quelle que soit l'issue du scrutin. 11/ En ce sens, l’enjeu du referendum est bien aussi essentiellement intérieur à la France et les politiques usant de ce genre d’argument ont choisi de jouer leur carrière sur ce scrutin, consciemment ou non. Ils devront en tenir compte. Le peuple sera en droit de l’exiger et de les y contraindre. 12/ La dénonciation d’un prétendu
débat « franco-français » présuppose
que la France devrait penser à l’Europe en faisant abstraction
de la France : elle relève d’une conception de l’Europe
fondée sur le déni de la réalité nationale,
en particulier française. On ne construit pas l’Union
avec un ou plusieurs autres sur la détestation de soi, c'est-à-dire
en se mettant soi-même entre parenthèses ou en réduisant
le poids de sa Nation à celui d'un "pois chiche dans une couscoussière"
(comme on a pu le lire dans un courrier des lecteurs du Nouvel Obs). Il
semble pourtant qu'il y ait souvent beaucoup de détestation de
soi dans la passion supra-nationaliste : c'est une disposition psychologique
dangereuse et qui devrait rappeler à certains de très mauvais
souvenirs. (23)
13/ Mais le premier argument à prendre en compte par ceux qui veulent vraiment l'Europe, qu'elle soit Union de Nations ou supra-nationale, c'est que tout en limitant le pouvoir des Nations, cette Constitution est d'abord anti-européenne : elle normalise un libre-échange interne identique entre les Etats-membres à celui de l’ensemble des Etats-membres avec le reste du monde et qui tend à ouvrir les frontières de l’Europe selon un mode strictement analogue à celui selon lequel elle ouvre les frontières de ses Etats-membres à l’« intérieur » de l’Europe. La sujétion économique des Nations à la logique libérale de l'Union n'a pour fonction que d'assujettir l'Union elle-même à un libre-échange mondial dans lequel son défaut de cohésion, économique aussi bien que politique, son refus normatif de toute stratégie planificatrice ou monétaire ne peut que la conduire à se dissoudre à vitesse accélérée pour le seul profit de détenteurs de capitaux d'origine et de destination indifférente (24). Tout se passe comme si nous n'assistions plus à une construction de l'Europe, mais à la programmation méthodique de sa dilution. (25) 14/ Car cette Constitution est aussi la négation même de l’Europe comme entité politique distinctive et indépendante. Elle en fait une Euramérique liée tout entière à ceux de ses Etats qui sont liés à l’OTAN –et constitutivement(26), or il était d'autant moins nécessaire de graver ce lien temporaire dans le marbre d'une Constitution qu'elle requiert l’unanimité pour toute politique de défense et de sécurité de l’Union. Cela revient donc à s’appuyer sur l’implication actuelle de certains Etats dans l’OTAN pour préciser la nécessité normative et définitive d’une subordination de l’Europe tout entière à l’OTAN, y compris dans l’hypothèse où tel ou tel de ses Etats, voire leur totalité, voudraient se dégager de l’OTAN en vue d’un engagement prioritairement européen ! Cette Constitution en interdit la possibilité en plaçant l’Europe tout entière sous l’égide de l’OTAN. C’est la négation même de l’affirmation du principe gaulliste : l’Europe sera européenne ou elle ne sera pas. (27) 15/ Il a déjà été relevé que tous les éloges de l’Europe qui prétendent fonder le Oui à la Constitution sur un Oui à l’Europe vantent une Europe SANS constitution. Il faut aller plus loin (28): l’inventaire des bienfaits de l’Europe ne porte que sur les bienfaits de l’absence de Constitution, c’est-à-dire d’une Europe évolutive et ouverte, à géométrie variable et qui serait aujourd'hui plus nécessaire que jamais en vue de l'intégration "en douceur" des nouveaux entrants de l'Est. Mais c’est justement cette mobilité de l’Europe que la Constitution a pour finalité, en tout cas pour objet explicite chez ses partisans, de figer ou fixer : en particulier en limitant le principe dynamique de la construction européenne jusqu’ici, qui a été celui des coopérations renforcées, en en subordonnant l’initiative à la règle de l’unanimité, et la réalisation à la participation d'un tiers au moins des Etats membres (soit neuf). 16/ En définitive, cette Constitution n'a qu'une seule finalité, en laquelle réside en même temps son originalité absolue: c'est d'instituer, pour la première fois au monde, un contre-Droit. Elle le fait en élevant la concurrence au rang de principe normatif. Le Droit s'oppose à la loi du plus fort et à l'état de guerre perpétuelle où le plus fort ne cesse d'avoir à prouver qu'il l'est. Le contre-Droit de la concurrence dit au contraire : « Battez-vous, et que le plus fort gagne! ». Evidemment, pour gagner, le plus fort n'a aucun besoin d'aucun droit.(29) En revanche, il a besoin qu'on ne lui oppose pas le Droit. Il lui faut donc un contre-Droit, un contre-feu au Droit, un droit qui s'oppose au Droit comme le contre-feu s'oppose au feu, en lui coupant l'herbe sous les pieds. Le contre-Droit ne dit pas seulement que la guerre est un droit (rien d'original à cela, ni de contraire au Droit) ; il ne définit pas simplement des règles pour la pratique de la guerre (telles que celles de la Convention de Genève) ; il déclare l'exigibilité prioritaire de la guerre de tous contre tous...pour le meilleur profit de chacun (« Battez-vous, tuez vous...mais ne vous faites pas mal ! »). (30) 17/ Il est temps de se demander alors pourquoi
une pareille ardeur offensive du Oui le plus paradoxal, celui "de
gauche". 18/ C'est pourtant bien Sarkozy dont la stratégie est à la fois la plus directe et la plus honnête (ou cynique), aussi eu égard à l'enjeu référendaire. Et c'est ce qu'illustre a contrario l'énorme intox du Oui de gauche quand il ose présenter la Constitution comme le meilleur moyen de lutter contre des mesures telles que la directive Bolkestein(31): si celle-ci était contraire à la Constitution, pourquoi aurait-on besoin d’exiger que la Commission s’engage à sa « remise à plat » dès avant le vote français du 29 mai ? Pourquoi ne pas s’appuyer plutôt sur son caractère anti-constitutionnel pour en faire un argument de plus, et celui-ci incontestable, en faveur du Oui ? Pourquoi n'a-t-on pu obtenir que cette simple « remise à plat » (qui n'engage à rien de déterminé, comme en a déjà prévenu l'actuel président de la Commission) ? Et comment se fait-il que les défenseurs de cette directive (puisqu’il y en a !) se trouvent tous dans le camp du Oui ? C’est au moins une illustration irréfutable de la divergence en profondeur des partisans du Oui (cf. argument 4). 19/ En réalité, les libéraux
savent très bien que la directive Bolkestein découle de
la partie III (articles 144-150) et les socio-libéraux s’imaginent
qu’ils pourront tirer parti de ses conséquences dévastatrices
pour s’imposer comme un garde-fou nécessaire à l’ultralibéralisme
qui en résultera et qui, tout en les disculpant de tout recul social,
permettra de présenter comme une prouesse politique la moindre
atténuation de ses effets à l’échelon national.
C’est le parti de la politique du pire. C'est aussi la pire des
politiques. (32)
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1- Le lecteur voudra bien excuser cette mention
biographique, peut-être pas inutile cependant à un moment
de la campagne électorale où les discrédits ad hominem
et les arguments de pure autorité semblent avoir pris le pas sur
la stricte considération des contenus, auxquels j’en viens
immédiatement. |